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Tractatus logico-economicus

PGéraldine Selin
@12 Jan 2008

Après une série de voyages à Tokyo, Cuba et New York, des installations, des vidéos et des photographies pour traduire les relations de l’homme avec le monde dominié par les valeurs de l’économie.

La galerie Anne de Villepoix présente des œuvres de Franck Scurti nées de voyages effectués l’an dernier à Tokyo, Cuba, ou New York. L’artiste ne privilégie aucun support. Il travaille aussi bien l’installation que la vidéo ou la photographie. L’œuvre impose sa forme.

Ready Dead est la photographie couleur d’une demeure de Cuba. Le point de vue choisi inscrit une relation anthropomorphe entre un balcon et deux petites fenêtres qui deviennent les orifices d’une tête de mort. La mort est là, elle circule à Cuba. Elle est là dans cette façade couleur turquoise sous un soleil radieux.

Bien stables dans leurs pots en inox très lisse, trois cactus tournent sur eux-mêmes. Dans leurs rouages énormes, les cactus font leurs Revolutions. Mouvement de rotation régi par un mécanisme digne d’un horloger, véritable système d’engrenage. Ils tournent rond les cactus.

Dans le Yoyogi Park de Tokyo, Franck Scurti a filmé l’interview de deux jeunes filles par une équipe de télévision (Flags Vision). Il a réalisé un montage cut avec des plans fixes très courts, associé à une chanson des années 80 chantée par David Bowie, China Girl d’Iggy Pop.

Signes d’arrogance et de timidité, sourires teintés d’amusement et gestes d’irritation sont présentés comme une succession de petits flashs. L’équipe technique est filmée elle aussi, surtout ses instruments de travail, caméra et micros. Des choses à peine perceptibles, de l’ordre de l’infime, arrivent dans un vacarme de gestes, sur une musique lancinante. La saisie des visages adolescents les transforment parfois en masques grimaçants, comme des arrêts dans une ronde infernale. Puis, par une suite de vues en contre-jour, les jeunes filles deviennent des ombres chinoises. Gros plans de mèches de cheveux sur fond de ciel bleu, avec parfois un micro au-dessus des têtes comme une fleur noire.

En 1969, Osvaldo Cavandoli avait créé La Linéa, dessin animé qui mettait en scène un personnage constitué par une simple ligne de dessin. On pouvait suivre les péripéties de l’homme-ligne dans une émission pour enfant, « Casimir ». Doué de parole, le petit homme entretenait un dialogue un peu étrange avec son créateur qui intervenait dans son monde. Déception, reproches ou franche colère, visibles, audibles mais indéchiffrables, entraînaient l’action d’une main tenant un crayon pour remédier aux défauts de la ligne et satisfaire un dessein. Petit bonhomme de chemin comme destin d’une ligne contre la ligne du destin.

Franck Scurti reprend ce dessin animé pour le transformer. Il en fait une projection vidéo sur le mur, couvrant une surface d’environ deux mètres sur trois. Tractatus logico-economicus : comme une résonance du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein, conception logique de la relation entre l’homme et le monde. Le personnage ne s’inscrit plus désormais sur la surface monochrome d’un petit écran. Il évolue à présent dans le monde des grands, sur fond de diagrammes, de tableaux décrivant les cours de la bourse. A la place de la philosophie, l’économie. A la place de la pensée, le « CAC 40 ».

Lorsqu’il souffle dans un ballon marqué du dollars, l’objet produit un son, mais peu de temps après, lui explose à la gorge. Connaissant une série de mésaventures, le bonhomme adresse ses réclamations au dessinateur qui répare la ligne de son corps, ou prolonge celle de son chemin. Mais lorsqu’il marche, un poste de radio à l’oreille, il se laisse distraire de sa ligne de conduite. Il ne voit pas qu’il n’y a plus de ligne, et il tombe dans le vide. Encore un coup du destin !

L’homme est une ligne, une ligne en continuité avec le chemin sur lequel il marche. L’univers de l’homme est une ligne mais celui qui l’emprunte n’est pas celui qui la trace. Humour et dérision travaillent des références économiques, sociales et culturelles. Cependant, même si Franck Scurti semble témoigner de l’injustice, des manipulations médiatiques, de la réduction de la culture à un ensemble de clichés, ou des valeurs boursières, ses œuvres créent de l’aventure humaine par d’autres voies. Pour Franck Scurti, le rôle de l’artiste est de transformer le monde, non de le refléter. De tracer une ligne pour faire un monde.

Lire l’entretien de Claire Jacquet avec l’artiste

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Cnp

Franck Scurti
— Flags vision, 2001. Vidéo couleur, écran LCD. 4’.
— In / Out, 2001. Deux photographies montées sur caissons lumineux, 107 x 160 cm chacune.
— Island in Island (Cuba) et Island in Island (Tokyo), 2001. Cibachromes sous diasec sur aluminium. 75 x 50 cm chacun.
— La Linéa (Tractatus logico-economicus), 2001. Projection sur un mur d’une vidéo couleur. 2’40.
— Ready Dead, 2001. Cibachrome sur aluminium. 180 x 120 cm.
— Revolutions, 2002. Trois cactus et structure inox, moteurs. 200 x 320 cm.

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