Simone et Lucien Kroll
Tout est paysage, une architecture habitée
Si le titre de cette exposition reprend celui de leur dernier livre Tout est paysage, c’est qu’il met ainsi le doigt sur l’essentiel: «notre approche est surtout paysagère, donc globale, relationnelle et de longue durée. Nous disons “paysage” dans le sens de milieu naturel complexe construit par des décisions entrecroisées, multiples, tissées, jamais par des règles rigides, droites et simplificatrices. Elle est de longue durée puisqu’elle considère le passé, l’existant, le non-dit, comme la trame sur laquelle se pose le nouveau projet qui n’est qu’un moment dans l’histoire et qui continue à évoluer sans nous.»
Lucien Kroll fut souvent regardé comme un utopiste ou un architecte en marge durant les années de productivisme industriel urbain. Alors que nous redécouvrons, encore une fois, à quel point cet urbanisme simpliste et violent a privé les villes des replis et des libertés sans lesquelles nous ne pouvons vivre-ensemble, nous nous souvenons que Lucien Kroll, avec une poignée d’architectes, n’avait pas transigé, imaginant des habitats conçus pour la civilité plutôt que pour le chemin de grue. Mais alors que la transition écologique demande qu’on réalimente la pensée avec des sciences humaines et des sciences terriennes, le «tout est paysage» de Lucien Kroll préfigure la pensée des milieux habités qui s’esquisse aujourd’hui. Ville, nature, banlieues, champs, ces cloisonnements ne font plus sens car tout est milieu, tout doit faire milieu, pour l’homme.
Qu’il s’agisse de réparer l’habitat maltraité ou d’innerver patiemment le tout-paysage-naturelurbain, les travaux de Simone et Lucien Kroll sont relus par la nouvelle génération d’architectes, qui cherche des ressources contre l’erreur et les trouve dans leurs actions et leur façon de penser. Cela fait plus de cinquante ans que Simone et Lucien Kroll poursuivent leur lutte et enchaînent, projets, conférences, articles, livres pour défendre, développer, approfondir une autre approche possible de l’architecture, écrivant des textes manifestes et dessinant des projets alternatifs, se battant sur les deux fronts, des idées et des faits, de la théorie et de la pratique, du fond et de la forme, opposant la retenue au gaspillage, l’humanitude à l’égocentrisme. Chacun des textes de Lucien Kroll met à nu les mécanismes qui s’emploient à détruire ce qu’il appelle la “vicinitude”, cette proximité douce qui suscite les solidarités et rend les rapports humains bienveillants.