« Tordre » joue d’abord de manière frappante du contracte entre l’espace blanc de la scène sur laquelle pénètrent les deux danseuses et d’imposants ventilateurs noirs dont les pales tournent auprès de ces dernières. Ce contraste met immédiatement en avant, de manière visuelle, l’incarnation de la fragilité propre à ces deux danseuses que sont Annie Hanauer et Lora Juodkaite.
Fragilité incarnée
Ces deux interprètes sont au cœur du spectacle de Rachid Ouramdane. Leur présence sur scène est d’autant plus frappante que la représentation de la fragilité sur laquelle veut insister Ouramdane se confond avec la réalité.
Depuis son enfance, Lora Juodkaite tourne sur elle-même pour combler une faille psychologique, sensible. Tourner sur soi est donc, aujourd’hui encore, un besoin vital. Annie Hanauer, quant à elle, a une prothèse qui prolonge son bras court.
De ces fragilités naturelles, le chorégraphe entend rendre compte en les mettant en scène. Il tient en premier lieu à faire percevoir celles-ci au spectateur en le conviant sinon l’obligeant à les regarder différemment. Rachid Ouramdane veut tordre, comme l’indique le titre de sa création, la perception habituelle que nous avons de la fragilité psychique ou physique.
L’abstraction expression de la fragilité
Mais Rachid Ouramdane n’a nullement l’intention de parler de manière directe, immédiate, de ces fragilités. La danse est pour lui le moyen privilégié de rendre ces dernières abstraites afin de pouvoir en dégager la signification profonde.
« Tordre » peut être qualifié de spectacle abstrait dans la mesure où il fait directement appel à l’imagination qui seule peut permettre de nous approprier la nature même de la fragilité portée par les danseuses. Sur le fond d’une scène entièrement banche, le regard du spectateur doit s’efforcer de percevoir le mouvement des corps fragilisés.
Mais le regard est aussi soutenu par le son dont la fonction est de contribuer à renforcer la volonté d’abstraction chère à Rachid Ouramdane. « Tordre » combine ainsi regard et son, approche visuelle et sonore pour nous introduire au cœur de ces différences considérées radicales et incarnées par les danseuses Annie Hanauer et Lora Juodkaite.