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Tony Soulié : Odyssée II

Artiste nomade, proche du land art, Tony Soulié arpente paysages désertiques et étendues rocheuses, lieux de ses interventions et installations. Une démarche singulière retranscrite par les mots simples mais explicites de Pascal Letellier.

— Éditeur : Joca Seria, Nantes
— Année : 2002
— Format : 20 x 15 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 127
— Langue : français
— ISBN : 2-908929-88-0
— Prix : 18,30 €

Installations
par Pascal Letellier (extrait, pp. 44 et 48)

Ces travaux sur terre, il les nomme installations. Il faut bien donner un nom aux formes que l’on construit et dont on dispose. Il y a dans ce mot l’indication d’un arrangement avec une dimension intraitable. Installer, puis agiter l’éventail des propositions. Proposer, ordonner, poser, laisser reposer, ne rien imposer. Porter l’estocade, se mettre en avant et faire une pose pour l’éternité. C’est le grand point d’orgue pour tout un environnement débraillé, laissé à ses circulations comme les gradins d’un vaste cirque. Sous le chapiteau du ciel, il sera souligné d’un trait à la chaux vive. Une ligne comme un axe unique pour marquer sa présence dans le désordre d’un gouffre endormi, englouti sous des monceaux d’œillets. D’ores et déjà, laisser en plan les définitions hors de propos. Construction, perturbation, corrosion. Ses plans lui ont fait franchir des plateaux de quartz ou des forêts fossiles. Ce sont les territoires qu’il s’est choisis. Celui qui se consacre au monde est toujours disposé à partir quelque part. Toujours prêt à troubler le repos des rochers. À poser les pieds où nul ne parviendrait. Sur des landes que nulle pensée n’aborde sans peine. Choisir l’endroit intact n’est pas simple. Ses cordillères, ses vallées suspendues à l’aplomb du pédalier des lacs, il les a voulues ainsi. Construction, érosion. Il se veut le jouet de l’à-peu-près. De l’instant déchiré, transversal, à tout jamais perdu, si nul ne le prend et ne le couche. Piégé par la ruse, je le vois réduit à son cadre succinct. Lui-même ne s’installe pas. Il ne dispose que de peu de mesures pour choisir sa partie et dessiner bientôt ses passes naturelles. Il lui faut concevoir bien vite un propos pour répondre à des verbes travaillés comme le granit. Présence des blocs de lave. Des éboulements, des coulées fissurées. Des cadences. Mordues. Épinées les crevasses minuscules où viennent se blottir les excès du geste en cours. Les poudres et les pigments ont été soumis au poids des sacs. Compressés avant d’être répandus et jetés à tout vent. C’est un campement de peintre qui s’installe pour un moment sur les cimes. Dans ce désert, il n’a que ces sachets noués autour de la taille, et pas de mortier d’albâtre pour broyer les couleurs. À ses pieds, il pose ses petits sacs et regroupe des branchages. L’acte se réduit au geste neutre, rapide. Frange de levure ou de feuillage séché. Alignement de galets. Il tourne dans son milieu choisi, observe et inscrit ses marques. Ses points de repère sont ceux d’un torero entre les zones désirées de l’arène. Face à l’indéfini des environs, le temps presse. Il a fait le tour de la question et dispose de peu de lumière encore. C’est alors qu’il lance la première brassée. La première ligne, puis celle qui va la croiser, et une troisième en écho aux premières. Remarquer, marquer sa présence. En finir avec les nuances et les jeux de hasard. S’abstraire. Laisser au vent le soin de chambouler la petite entente des formes quand la nuit tombe, et mêler les poudres argent aux fragments de basalte. Laisser l’air du soir faire office de peintre.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Joca Seria)

L’artiste
À plus de 40 ans, Tony Soulié est devenu un artiste reconnu de la « nouvelle abstraction ». Contrairement à leurs aînés de l’École de Paris, les peintres de sa génération ont formé leur regard et leur attitude au contact des artistes conceptuels, à ceux de la figuration narrative ou du land art. Tony Soulié a souvent recours dans son œuvre aux pratiques de ces plasticiens : intervention directe dans le paysage, support photographique, inscription écrite, réemploi de supports ou de médiums industriels. Il s’est fait remarquer notamment par l’emploi du cadre et du film sérigrahique pour une série de grandes peintures où il fait réagir divers vernis, acides, cires, pigments ou poudre de métal ou de carborandum. Il vit et travaille entre Paris et Lagos (Nigéria).

L’auteur
Pascal Letellier, écrivain d’art, commissaire d’expositions, né à Angers en 1949, est responsable d’une partie du programme des manifestations produites à Cherbourg par la Scène nationale autour de l’art contemporain dans les Galeries du théâtre.
Sociologue et éditeur, il a étudié l’histoire et la sociologie de l’art. Il est l’auteur de bon nombre de catalogue et de deux livres : Expérience homotextuelle et Suite à la mort de Marighela et du Théâtre géographique à propos de l’œuvre d’Éric Fonteneau.

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