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Tony Soulié : Odyssée

Peintures et photographies de l’artiste voyageur Tony Soulié décrites par le sociologue Pascal Letellier. Balades en Afrique, dans les déserts ou sur les pentes des volcans, en images et par les mots : une odyssée toute en couleurs et en beauté.

— Éditeur : Joca Seria, Nantes
— Année : 2001
— Format : 20 x 15 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 127
— Langue : français
— ISBN : 2-908929-79-1
— Prix : 18,30 €

Désert
par Pascal Letellier (extrait, pp. 46 et 48)

Ces photos sont en somme comme le caillou de Monod. La lumière du désert est là de tout temps comme une origine et tu en captes un instant que tu figes et lisses sur une large bande de papier préparé. Cette fraction de seconde c’est l’éternité comme le cratère du volcan une gorge universelle. C’est l’envers du miroir et la photo a déjà neutralisé tout recours au réel. Elle sera bientôt posée à tes pieds comme les coulées de lave que tu marquais à la chaux. La photo fait office. La photo est métonymie et c’est sans doute pour ça que les musiciens de jazz se sentent proches de toi quand tu improvises ton geste clair et libre sur une partition qui apparaît dès lors comme un tempo, un temps sans fin ni commencement. L’instant de ta prise de vue quelque part ailleurs sert ici de partition à un riff sur le thème du désir, de l’éternité, de l’absence de lignes et d’horizon. Tu procèdes par cycles et c’est comme si ta peinture avait l’intention de rendre ces clichés au réel qui les produisit dans un éclair lumineux. Tu procèdes aussi par cycles : c’est Cuba, c’est Zanzibar, c’est le Bénin, c’est l’Arizona, ce sont les îles Sandwiches… Chaque série raconte l’histoire d’un désir fragmenté, furtif, débarrassé de tout attirail.

Tu aimes le feu et la chaleur. Tes voyages te conduisent plutôt dans ces pays à l’aplomb du soleil que vers les terres froides du nord. Tu as des postures espagnoles, catalanes. Tes matériaux choisis sont ceux de la forge. Tu as sculpté à la cire perdue. Ta contemplation te porte vers les sources et les flammes. C’est peut-être ça qui t’attire vers ces forges cosmiques que sont les sites volcaniques ou ceux, ravagés des déserts quand ils sont brûlés au chalumeau d’un ciel blanc. Tu aimes la rouille et les convulsions d’une forme calcinée. Tu es de ceux qui associent l’intelligence du monde à cette tentation du moindre et de la légèreté absolue. Il s’agit souvent pour toi de rendre le motif à sa neutralité vive, à sa transparence. Tes peintures valent ainsi parfois par leur ombre portée, par leur chaleur impalpable, leur travail en dehors de toi. Il t’arrive de peindre (de jeter dans l’arène du cadre matière à conflit, acides, pigments et vernis liquides) et de passer le temps de la bataille ailleurs, à table quelque part. Laisser la matière au secret de ses réactions et des métamorphoses. De retour après une nuit tu retrouves tes peintures comme un grand champ brûlé. La lecture de l’acide a donné lieu à toutes sortes d’interprétations, de faux témoignages et de libres propos dont tu vas tenir compte par la suite. Il y a un temps dans ce travail qui joue avec la jubilation du spectateur attentif et provocant. Tes peintures (mais est-ce de la peinture, au fait ?) résultent parfois d’une sorte de précipité, comme un jeu de lectures successives, s’annulant, se complétant, se corrigeant…

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Joca Seria)

L’artiste
À plus de 40 ans, Tony Soulié est devenu un artiste reconnu de la « nouvelle abstraction ». Contrairement à leurs aînés de l’École de Paris, les peintres de sa génération ont formé leur regard et leur attitude au contact des artistes conceptuels, à ceux de la figuration narrative ou du land art. Tony Soulié a souvent recours dans son œuvre aux pratiques de ces plasticiens : intervention directe dans le paysage, support photographique, inscription écrite, réemploi de supports ou de médiums industriels. Il s’est fait remarquer notamment par l’emploi du cadre et du film sérigrahique pour une série de grandes peintures où il fait réagir divers vernis, acides, cires, pigments ou poudre de métal ou de carborandum. Il vit et travaille entre Paris et Lagos (Nigéria).

L’auteur
Pascal Letellier, écrivain d’art, commissaire d’expositions, né à Angers en 1949, est responsable d’une partie du programme des manifestations produites à Cherbourg par la Scène nationale autour de l’art contemporain dans les Galeries du théâtre. Sociologue et éditeur, il a étudié l’histoire et la sociologie de l’art. Il est l’auteur de bon nombre de catalogue et de deux livres : Expérience homotextuelle et Suite à la mort de Marighela et du Théâtre géographique à propos de l’œuvre d’Éric Fonteneau.

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