Eric Corne
Ton cœur a la forme du gant de boxe avec lequel je peins tous tes contours
C’est une puissance évocatrice qui s’apprécie dans les dessins et les peintures d’Éric Corne. Son œuvre équivoque fait dialoguer l’histoire de la peinture avec son imaginaire dense et ses interprétations autobiographiques. De cette diversité de trames narratives naît sa richesse. Il est en effet difficile d’appréhender son œuvre de façon succincte tant les accès permettant au regard de pénétrer ses toiles sont multiples. Si l’on y retrouve de manière récurrente une avant-scène, souvent d’intérieur et sur laquelle échangent des personnages, elle ne constitue pourtant pas le point de départ ou d’entrée dans l’image.
Cet espace pictural entre souvent en confrontation avec un ou des paysages, étrangers et étranges. Édifices et maisons dont les proportions n’obéissent à aucune perspective, sapin solitaire ou sapins solidaires peuplent en effet l’espace des peintures au sein desquelles des cours d’eau parviennent également à s’introduire, quelquefois en vue de circonscrire et isoler des terres que l’on imagine habitées ou désertées, d’autres fois, et presque en opposition, afin de soutenir une sensation d’infini. Ces agencements transgressifs d’espaces nous font voyager dans un monde emprunt d’onirisme, nocturne ou diurne, qu’éclaire violemment non pas la lumière, mais la couleur. L’élément lumineux symbolisé par la bougie ou l’ampoule se retrouve par ailleurs régulièrement dans ses œuvres.
Éric Corne éprouve, avec ses fulgurances intuitives, les genres classiques de la peinture: la nature morte, le paysage, le portrait et le nu, abordant inévitablement la thématique du peintre et de son ou ses modèle(s) (Velázquez, Poussin, Munch, Dix, Picasso…). En même temps qu’il traduit son interprétation d’œuvres classiques, tout en y amenant ces profondeur, perspective et mise en espace qui lui sont si chères, l’artiste fixe sur la toile les représentations poétiques de sa vie intime, crie son amour pour la peinture, se met à nu. L’intensité des gammes colorées rend compte de toutes ces sensations. Sa peinture semble être le fruit d’une synthèse entre l’expressionnisme germanique et la raison colorée d’un Matisse, mêlant intuition et réflexion. Et si dans ses dernières Å“uvres Éric Corne effleure les signes des mythes et du religieux, c’est par leur fusion avec le sentiment amoureux.
Des figures symboliques récurrentes constituant son répertoire sont mises en scène de peinture en peinture, également parfois de peinture en dessin. Le clown (série 2011-2012), évocation de la dérision et de la mise à distance, comme la figure du minotaure dans ses peintures plus récentes, se situe au centre de l’éternelle dualité de la vie et de la mort, au sein des pulsions ambiguës et fondamentales d’Éros et de Thanatos. Le minotaure, qui est ancré dans l’imagerie populaire et dans l’histoire de la peinture, sollicite le thème de l’autoportrait: Corne est le nom de l’artiste. De ses peintures plus anciennes, on se souvient des scènes de boxeurs. Le symbole du gant de boxe en est une résurgence persévérante. Elle est une métaphore de la peinture comme combat: le peintre boxeur, la peinture comme ring de boxe, le ring… Mais ce qui pourrait être une expression de violence, d’intrusion impromptue, s’avère finalement être une figure pudique de l’amour: un gant rouge d’émotion gorgé de sang, comme un cÅ“ur amoureux mis en parallèle avec la palette du peintre en forme de cÅ“ur. Amour céleste, charnel, et amour de la peinture se confondent d’un même souffle en une même nécessité, pour une même aspiration. Le titre de l’exposition: «Ton cÅ“ur a la forme du gant de boxe avec lequel je peins tous tes contours» est par ailleurs explicite: du ring au cercle, du verbe à l’image…
Depuis deux ans, le dessin a pris une grande place dans le travail d’Éric Corne. Jusque là , ces dessins tenaient lieu d’annotations sur l’avancement et le cheminement de ses peintures, rendaient compte des différentes étapes. Aujourd’hui autonomes, ils sont parfois de grandes dimensions. Dans l’efficacité du geste et de par son énergie se décrivent aussi toutes les pulsions et réflexions de l’artiste. Éric Corne poursuit également son travail de sculpture. L’exposition permettra de découvrir son Å“uvre Blackhouse, une maison de bois calcinée à échelle humaine presque sortie de ses peintures, réalisée en 2011 et montrée pour la première fois en France. Cette pièce interroge à nouveau l’espace intérieur et extérieur, l’accès à la maison n’étant pas permis.