Gonzalo Lebrija
Toaster R75/5
C’est sur une moto BMW que Gonzalo Lebrija a sillonné la péninsule mexicaine de Basse Californie. Il n’a pas choisi son engin au hasard: ce modèle de la série R75/5 possède un accessoire que l’artiste a utilisé comme instrument de travail.
Les deux flancs de réservoir chromés, d’où cette BMW tire son surnom de « Toaster » (« grille-pain »), ont servi de miroirs réfléchissant les paysages que Lebrija a réinterprétés avec son appareil photo au cours de sa longue randonnée.
Cela nous vaut soixante-six photographies qui relatent sur le ton du récit de voyage les tribulations de Lebrija en territoire bas-californien.
Les oeuvres de Gonzalo Lebrija ont toujours une dimension scénique très marquée. Ses photographies relatent des situations où se mèlent une dose de courage et un certain souffle épique.
Sa traversée du désert en solitaire, dormant à la belle étoile, ressemble au scénario d’un film dont le protagoniste tragique entreprend une odyssée virile sur un vague coup de tête, face à la nature et à la quête de lui-même.
La facture sobre et élégante des images de Lebrija dissimule la forte charge affective de son travail. Les compositions concises, à l’équilibre rigoureux, créent une sorte de distance austère, comme si l’artiste était un de ces dandys qui ne s’autorisent aucun sentimentalisme.
Pourtant, sous la surface froide, persiste l’affirmation qu’il est encore possible d’accomplir un grand geste de défi individualiste, comme d’autres l’ont fait dans un passé mythique, laissant leurs empreintes au fil du temps.
La moto, malgré la parodie du motard-messager, devient ainsi bien plus qu’un moyen de transport: un objet fétiche dont la symbolique induit une identification immédiate avec des personnages réels ou fictifs, tels que Ulysse, le capitaine Achab, Ernest Hemingway, James Dean, Marlon Brando, Peter Fonda, etc.
En captant les images par l’intermédiaire de la surface métallique bombée du flanc de réservoir, Lebrija transforme sa moto en outil de création. L’action représentée convient au rôle que l’artiste s’est assigné, tant il est vrai que les héros n’ont pas coutume de parler d’eux. Tout au mieux accepteront-ils de le faire indirectement, comme ici, par le biais d’une légère déformation du paysage et des reflets ajoutés par le chrome, où le spectateur vigilant discerne la clé de décryptage qui lui permet de pénétrer derrière la belle surface réfractaire des images.
Ces photographies constituent l’aboutissement d’une recherche plastique poursuivie depuis plusieurs années. En 2000, Lebrija avait réalisé une série de prises de vues intitulées « Autopaysages », montrant des fragments de la ville reflétés sur les voitures multicolores.
Puis, en 2005, répondant à une invitation de l’Unesco, il a placé une Ferrari à l’intérieur de la chapelle de l’institut culturel Cabañas de Guadalajara (aménagé dans un hospice inscrit sur la liste du patrimoine mondial), puis il a photographié « L’Homme de feu », peint au plafond par José Clemente Orozco, qui se reflétait sur la carrosserie rouge italienne, offrant par là une métaphore originale de la puissance et de l’énergie.
En parallèle à « Toaster R75/5 », l’artiste présentera également les premières oeuvres d’une nouvelle série: « La distance entre vous et moi ».
Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Maxime Thieffine sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.
critique
Toaster R75/5