Latifa Echakhch
Tkaf
L’œuvre de Latifa Echakhch a pour habitude de jouer avec un complexe tressage de significations et de s’inspirer de la polysémie des mots.
L’exposition présente dans un premier temps une installation réalisée à même le sol et sur les murs de la galerie, avec des briques brisées jusqu’à ce qu’elles soient réduites en poudre. C’est près d’El Jadida, au Maroc, que l’artiste a découvert au cœur d’un sanctuaire où l’on pratique encore la sorcellerie, des traces et des empreintes de mains réalisées à même les murs, à l’aide de terre d’argile rougeâtre extraite du sol. S’inspirant de cette vision, l’œuvre apparaît comme une hybridation entre des pratiques sacrées ancestrales, et certains usages de l’art contemporain faisant eux aussi l’objet d’une sacralisation.
Tout en s’inscrivant dans une esthétique de la destruction, voire de la ruine, une pièce comme «Tkaf» nous renvoie également au matériau utilisé, et à ses dimensions symboliques. Telles des traces de sang, la poudre de brique rouge se conjugue avec la sensation d’une architecture laminée et éventrée.
Sur un mode tout aussi iconoclaste les tondi (Tambours, 2012) nous proposent une étrange généalogie. Réalisés au moyen d’un goutte-à -goutte d’encre noire, ce dispositif tente de renverser l’idée même de tondo, qui est originairement situé au plafond pour référer aux cieux. Les gouttes qui composent l’œuvre se sont en effet écrasées au centre du format pendant une durée déterminée par l’artiste: l’encre apparaît alors comme un projectile prenant la toile pour cible.
Il nous est donné d’imaginer le tempo de cette encre noire avec encore et toujours cette notion de déposition, point récurrent dans l’exposition, tout comme la présence répétée du motif circulaire. Motif que l’on retrouve d’ailleurs dans ces miroirs Chaty Vallauris, en forme de soleil, dont les surfaces sont en partie masquées par des linges blancs comme pour évoquer cette vieille coutume qui consiste à voiler les miroirs pendant les deuils (Fantômes, 2011).
La dimension fantomatique de ces impossibles reflets résonne avec ces vides que l’artiste distille ça et là . Un bâton, une veste et quelques colliers de jasmin dont l’odeur disparaîtra peu à peu avec le temps de l’exposition, évoquent la figure furtive d’un vendeur ambulant de jasmin aperçu lors d’un voyage à Beyrouth
Le temps passe et le rythme organise la temporalité de l’exposition à l’instar de ces vingt-quatre chapeaux melons déposés au sol et remplis d’encre noire (Mer d’encre, 2012). Doit-on imaginer une quête improbable dont le résultat serait cette cosmologie quelque peu mélancolique? Fidèle à un principe de plurivocité, cette pièce pourrait aussi être dédiée à la figure du poète, aux rêveurs de mots, qui pourraient bien ici se voir transformés en clowns gauches arrosés d’encre.
Vernissage
le 7 février 2012
critique
Tkaf