Rita McBride & Koenraad Dedobbeleer
Tight, Repeating Boredom
N’ayant encore jamais travaillé ensemble, Rita McBride et Koenraad Dedobbeleer ont un intérêt commun pour les formes issues du réel. L’un et l’autre procédent à l’analyse d’éléments architecturaux ou encore de mobiliers urbains, autant de structures qui organisent l’espace. Par leur déplacement et leur détournement dans le lieu d’exposition, ils témoignent tout autant d’une approche sensible des formes que d’une réflexion sur leur histoire et leurs conditions de production économiques ou industrielles, ou encore leur réception. En les invitant à investir la salle d’exposition du Frac Bourgogne, il s’agissait avant tout de leur permettre de répondre à ce contexte, l’un et l’autre, l’un avec l’autre.
L’architecture du Frac Bourgogne a constitué un point de départ. En effet, cet aujourd’hui traditionnel espace d’exposition blanc est fortement marqué par son toit. Quoique relativement haut, celui-ci est très présent par son architecture métallique. Caractèristique d’un bâtiment industriel, cette charpente détermine l’expérience de l’espace et des œuvres qui s’y trouvent en général, le regard devant occulter tout ce qui se trouve au-dessus des fermes métalliques principales. En réponse à cette situation, Rita McBride et Koenraad Dedobbeleer ont proposé de juxtaposer, dans la salle laissée dans son plus grand volume, deux structures dont la logique formelle analyse la paroi supérieure d’une architecture, le toit.
Rita McBride s’est intéressée à une forme de station-service dont elle constatait le remplacement progressif aux Etats-Unis, à Los Angeles plus précisément. On se souvient de l’œuvre qu’Ed Ruscha réalise en 1967, Twentysix Gasoline Stations, où il répertorie au moyen de la photographie les stations essence situées le long de la route 66 entre Oklahoma et Los Angeles. Sans aucun souci esthétique, il documente «l’étrange relation des gens à leur environnement rural, sans soutenir ou dramatiser cette étrangeté» (Ed Ruscha).
D’une grande diversité, les oeuvres de Rita McBride regardent avec beaucoup d’acuité l’art, le design et l’architecture comme révélateurs du monde actuel. Elle constate ici, à travers la disparition de certaines formes de station-service, l’évolution de notre rapport à ces lieux et à ce qu’ils représentent. La station-service est le bâtiment type, devenu le symbole culturel de l’ère de l’automobile. Le modèle qu’a choisi Rita Mc Bride, et qui tend aujourd’hui à être remplacé, date de la fin des années soixante. Il s’agit d’un modèle dit de «toit-abri », où seule la fonction de distribution d’essence est mise en avant. Le choix de ce type de bâtiment prend évidemment un sens particulier aujourd’hui alors que la fin de cette ressource est programmée.
Koenraad Dedobbeleer a, quant à lui, choisi de déplacer la charpente en bois d’une sous-pente d’un immeuble d’habitation. Sablière, chevrons, entrait, sont fabriqués à l’identique et assemblés dans l’espace du Frac Bourgogne. La charpente en bois s’inscrit sous la charpente métallique du lieu. Cette pratique de déplacement n’est pas d’ordre patrimonial, tel que peuvent le pratiquer les musées d’habitats ruraux par exemple. Pas de mesure de conservation donc, mais une confrontation qui crée un décalage à plus d’un titre.
Etrange échelle de temps entre deux principes de charpente presque contemporains dans leur réalisation. Les temps se confondent entre celle en bois se référant aux modèles anciens, et celle en métal s’emparant des moyens nouveaux. La charpente en bois est donnée à voir et expérimenter pour elle-même, structure arachnéenne dans laquelle évolue le spectateur.
Koenraad Dedobbeleer fait reposer son travail, depuis ses premières expositions à la fin des années quatre-vingt-dix, sur la présentation d’objets et d’espaces qui reçoivent des transformations très ténues. La présentation est pour lui le fait «d’offrir ou de proposer quelque chose qui soit volontairement ouvert, disponible». C’est pour lui une étude, non-scientifique, des possibles.
Présent sur la scène française à travers de rares expositions collectives, il travaille très régulièrement en collaboration, comme pour cette première véritable apparition en France.
La confrontation de ces deux œuvres dans l’espace du Frac Bourgogne révèle les multiples manières dont ces deux artistes questionnent le réel dans l’espace de l’art. Objet formel autant que culturel, il est aussi pour Rita McBride pratique de la sculpture autant qu’approche et construction du paysage. Pour Koenraad Dedobbeleer il est expérience protéiforme et ouverte. Cette collaboration donne à éprouver le lien intrinsèque avec le réel, ligne de fuite infinie, que poursuivent inlassablement les artistes.