Le Théâtre de la Ville, où Mikhail Baryshnikov danse pour la première fois, s’est fait le «lieu commun» par excellence du genre humain. Sur des chorégraphies de Jerome Robbins (Sarabande, 1994), d’Alexeï Ratmansky (Valse-Fantaisie, 2009), de Benjamin Millepied (Years Later, 2006) et Mats Ek (Solo for Two, 1996 et Place, 2007), chaque soir, Mikhaïl Barychnikov et Ana Laguna nous entraînent dans les plus improbables spirales du sentiment amoureux.
Ruptures, doutes, monotonie… Cette création parviendra à condenser, en trois solos et deux duos, les vertiges d’une vie en couple. Les éclairages sont sobres, seul un pan de mur sombre s’érige en arrière scène…C’est principalement autour d’une table posée sur un tapis que se déroulera la théâtralité fugace d’un quotidien en ballottage.
Même silhouette, même grâce, même mèche sur le front! Voilà plus de dix ans que Barychnikov ne s’était rendu à Paris. Mais lorsque «Misha» entre en scène, il est «comme à la maison», précis, élégant du «coup de pied» au port de tête.
Sa nonchalance dans Sarabande — interprétée uniquement à la première — lui assure une sensualité à couper le souffle. Désirs et déceptions faisant aussi partie du paradoxe de la logique amoureuse, c’est dans le solo Valse fantaisie qu’il exhale, avec justesse, le parfum aigre-doux de certaines retrouvailles. Et le temps passe… Years Later, confrontation humoristique du «Misha» sexagénaire à sa propre image (jeu d’ombres et images d’archives) renvoie à l’introspection : « je » devenu un autre, que reste t-il? Le poids des ans modifierait l’habilité physique? Dans le cas présent, il magnifie plutôt celle de l’esprit. Virtuosité, prouesses, où est la danse? L’expérience en serait l’essence…
Le charisme et le jeu scénique d’Ana Laguna (Carmen, Giselle et partenaire du chorégraphe Mats Ek), confère au propos toute sa légitimité. Elle est ici la valeur ajoutée. La routine du binôme devenue désopilante, elle suggère avec ferveur dans le duo Solo for two, sa part de solitude et finit par instaurer sa propre temporalité. Le pas de deux d’une précision musicale quasi arithmétique est d’une efficace volupté! Isolés dans leurs bulles, minés par la haine respective, nos deux héros déchus cèderont à la crise dans Place, le tableau final. Chaise, table, tapis virevoltent et crient leurs forces esthétiques. Nouveau départ? Le chavirement paroxystique du cadre domestique s’essouffle toutefois en Happy End.
Si la vie n’est que danses de maux et le temps cruel, Three Solos and a Duet n’est pas prêt de prendre une ride. Fervente leçon de danse, à la hauteur de ses interprètes, le public reste médusé et conquis.
Sarabande (1994, uniquement le 15 juin), extrait
— Chorégraphie: Jerome Robbins
— Musique: J.S. Bach, Sarabande de la Suite n°5 en do mineur, BWV 1011
— Interprété par Mikhail Barychnikov
Valse-Fantasie (2009)
— Chorégraphie: Alexeï Ratmansky
— Musique: Mikhaïl Glinka, Valse-Fantasie
— Lumières: Jennifer Tipton
— Costume: Deanna Berg MacLean
— Interprété par Mikhail Barychnikov
Solo for Two (1996) extrait
— Chorégraphie: Mats Ek
— Musique: Arvo Pärt, Für Alina, For Arinushka, Spiegel im Spiegel
— Lumières: Erik Berglund
— Scénographie: Peder Freiij
— Costume: Peder Freiij
— Interprété par Ana Laguna et Mikhail Barychnikov
Years Later (2006 et 2009)
— Chorégraphie: Benjamin Millepied
— Film et vidéo: Asa Mader
— Musique: Philip Glass, Mélodies for Saxophones Nos. 10, 2, 13 et 12
— Lumières: Jennifer Tipton
— Concept vidéographique original: Olivier Simola
— Directeur de la photographie: Ghasem Ebrahimian
— Costume: Marc Happel
— Interprété par Mikhail Barychnikov
Place (2007)
— Chorégraphie: Mats Ek
— Musique: Fläskkvartetten
— Scénographie: Peder Freiij
— Lumières: Erik Berglund
— Interprété par Ana Laguna et Mikhail Barychnikov