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Thomas Ruff

De la raideur géométrique des photographies de villas construites par Ludwig Mies Van der Rohe à une dissolution des formes, on assiste à un effacement progressif du référent. Mais dans cette mutation vers l’abstraction pure la problématique qui sous-tend l’œuvre reste la même.

Inaugurant un nouvel espace au rez-de-chaussée de la Galerie Nelson, Thomas Ruff choisit de mettre en regard sa série Substrats avec des photographies d’architecture issues d’une série antérieure. L’artiste avait déjà rapproché Substrats de sa série Nudes. À présent, il expérimente une confrontation inédite avec l’architecture.
La série de maisons est une œuvre de commande. En 1998, Julian Heynen demande à Thomas Ruff de préparer une exposition de photographies d’architecture au musée Kunstmuseen de Krefeld à l’occasion de la réouverture après restauration des villas « Haus Lange » et « Haus Esters » édifiées par Ludwig Mies Van der Rohe.
Sans aucune présence humaine, façades et intérieurs sont révélés dans leur apparente objectivité.
Retouche digitale, choix de compositions frontales et géométriques : Thomas Ruff élimine tout élément relevant de l’affectivité et nous place devant des surfaces froides, planes, imperméables.
Bien que le référent soit identifiable, l’intervention de l’artiste dément toute authenticité des images comme reflet fidèle de la réalité. « La photographie prétend montrer la réalité, explique Thomas Ruff au sujet de la crise de l’objectivité. Avec votre technique, vous devez vous rapprocher le plus possible de la réalité. Et quand vous en êtes si proche, alors vous reconnaissez que ce n’est pas elle » (entretien avec Philip Pocock, Journal of Contemporary Art).
Ayant perdu la croyance en une capture objective de la réalité, Thomas Ruff donne aux images « l’authenticité d’une réalité arrangée et manipulée ».

Le recours à la modification informatique des images tend à faire de la photographie un support d’expérience abstraite. Avec Substrats Thomas Ruff pousse à l’extrême l’expérimentation. La série est constituée à partir d’images collectées sur internet, notamment des images de mangas japonais aux couleurs très vives. Les planches de bandes dessinées sont traitées par accumulation de strates successives. Les couches sont ainsi multipliées jusqu’à obtenir une image multicolore et mouvante dont la matrice n’est plus reconnaissable. Les photographies ne correspondent plus à une réalité préexistante et deviennent des stimuli visuels transmis par purs moyens électroniques.

De la raideur géométrique des photographies de villas construites par Ludwig Mies Van der Rohe entre 1927 et 1930 à la dissolution des formes opérée dans les Substrats, on assiste à un effacement progressif du référent. Mais au cours de cette mutation vers l’abstraction pure la problématique qui sous-tend l’œuvre reste la même.
De l’épuration des lignes dans des compositions symétriques à la superposition des images jusqu’à saturation des couleurs, c’est toujours le statut de la réalité dans la photographie et sa perception qui sont interrogés.
L’exposition joue sur ces correspondances en imbriquant les deux séries sans les séparer. Traité dans de grands formats en couleurs l’ensemble s’harmonise et laisse s’installer l’étrangeté.
Quel que soit le procédé utilisé, quelles que soient la manipulation du référent et l’intervention de l’artiste, on se trouve face à une image dont on ne perçoit que la surface. « En travaillant sur l’ordinateur, on peut jouer sur diverses strates mais en fin de compte, tout se trouve unifié en une seule image, celle que je veux faire voir aux gens. Les matériaux d’origine s’agencent comme les matériaux servant à bâtir une maison. Je ne tiens pas à ce que ceux qui voient ces images aient conscience des diverses strates qui les composent : leur fabrication ne doit pas orienter la façon de percevoir » (Thomas Ruff, Centre national de la photographie, 1997).

Thomas Ruff :
— h.t.b.06, 1999. Laserchrome et diasec. 130 x 195 cm.
— h.t.b.010, 2000. Laserchrome et diasec. 130 x 195 cm.
— h.e.k.04, 2000. Laserchrome et diasec. 185 x 270 cm.
— Substrat 9II, 2002. Tirage jet d’encre. 170 x 130 cm.
— Substrat 9III, 2003. Tirage jet d’encre. 265 x 186 cm.
— Substrat 10I, 2003. Tirage jet d’encre. 186 x 238 cm.
— Substrat 10II, 2003. Tirage jet d’encre. 186 x 311 cm.
— Substrat 10III, 2003. Tirage jet d’encre. 186 x 327 cm.
— Substrat 11III, 2003. Tirage jet d’encre. 310 x 186 cm.

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