Quelque soit le médium ou le matériau utilisé, entrelacs de cartons, dessins, sérigraphies, peintures jamais achevées, vidéos, etc., tout revient chez Thomas Bayrle à une première révélation initiale et initiatique, qui inspira le schème formel de son œuvre, imprimant son sceau sur celle-ci depuis maintenant des décennies.
Tandis qu’en 1958, il travaillait dans une usine de tissage, un précipité de significations entremêlées lui est en effet apparu, croisant ses fils conducteurs dans la reprise et la déclinaison formelle des mêmes motifs, industrialisation (celle des années 60 tout d’abord et maintenant, celle de la Chine), communication de masse, collectivité et réseaux.
Si les chaînes de montage du tissage industriel lui sautèrent aux yeux comme l’archétype de la société moderne puis contemporaine (motif du tissage qui, lié à la navette, à la tunique, au tissu et à la texture de l’écriture, aura par ailleurs inspiré plus d’un poète depuis Homère), Thomas Bayrle l’utilise aussi bien pour illustrer une vision cosmogonique et métaphysique que pour exhiber la gigantomachie de la société de consommation et de l’endoctrinement politique.
Choisissant un motif, Thomas Bayrle en fait ainsi l’élément d’une mosaïque qui reprend elle-même ce motif, le petit format composant mais aussi répétant et anticipant par avance le grand format, perturbant non seulement l’espace (puisque la partie y est égale au tout), mais également le temps, puisque le commencement et la fin, l’alpha et l’omega sont eux aussi identiques.
On retrouve ce procédé dans la plupart des sérigraphies ici exposées ainsi que dans les différentes vidéos visibles à la galerie qui, sur fond de montages sonores, jouent par ailleurs de la distorsion des mailles, comme si un corps mouvant en manifestait parfois l’inconfort ou la vie.
Dans la première salle, avec la série chinoise (2005), c’est toutefois un autre procédé qui est à l’œuvre. Des entrelacs de carton gris (dont le même type de formes composeront un livre en bois de quatre pages) forment ici un idéogramme chinois qui entre en relation avec la sérigraphie d’une photographie.
Cette photographie, représentant des héros positifs issus d’un ouvrage de propagande, est à chaque fois connue de tous les chinois.
De son côté, la série Agnus Dei, œuvres plus récentes de Thomas Bayrle, gardent la thématique du réseau autoroutier (avec des voitures miniatures collées ici ou là sur les entrelacs de carton), réseau autoroutier que l’on retrouve dans les vidéos et qui se muent ici en portées pour des partitions de chants monastiques du Moyen-Âge.
Cet alphabet du monde, ce livre total que Thomas Bayrle met en œuvre est le témoignage que tout est dans tout et réciproquement, selon le principe mystique de «la sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part». Toutefois, si selon Pascal, les deux infinis se rejoignent, si selon le mathématicien Cantor, l’infinité de points sur ce i, sur cette page ou encore, dans l’univers tout entier, est identique ou égale, si donc, le tout n’est pas plus grand que la partie ni la partie plus petite que le tout, «tout», justement, n’en dépend pas moins du motif initial, de l’atome insécable choisi à l’origine de la représentation de cette mise en abîme.
Lorsqu’aucun principe de raison ne se trouve au fondement et que, comme l’écrit Angelus Silesius dans Le Pèlerin chérubinique «la rose est sans pourquoi» (deux roses sont ici exposées, dont l’une fut refusée par Tupperware), il importe peut-être de savoir choisir entre différentes qualités d’infinis: démultiplication inconditionnelle, mystique, gracieuse, gratuite et poétique d’un côté, aliénante répétition du même, infini clonage commercial ou politique des habitus et des désirs de l’autre. Il importe de choisir, à moins qu’ici l’un ne soit aussi dans l’autre, pris dans le tissu totalisant et parfois totalitaire de la même chaîne de montage.
Pour découdre quelques mailles, faire un trou et voir à travers le tissu de ce livre ou de cette tunique infinis, il faut, dans la vitrine, revenir à Mrzyk & Moriceau. Pour nous rendre compte, peut-être, que nous n’en sommes pas sortis.
Å’uvres
— Thomas Bayrle, Motorway, 2003/05. Carton, des crayons, voitures en plastique, grille en bois. 120 x 203 x 7 cm
— Thomas Bayrle, Augiasstall, 1971. Impression sérigraphique sur carte, cadre. 46,5 x 64,5 cm
— Thomas Bayrle, Sainte Marie, Mère de Dieu, Priez pour nous pauvres pécheurs, Maintenant et à l’heure de notre mort, 2010. Bois, roulement à billes et courroie, ø 56 cm x 14 cm
— Thomas Bayrle, Rapport / Stadt Tapete, 1981. Impression offset sur papier. 73 x 59 cm