This Is Concrete met en scène une rencontre charnelle entre deux hommes, de leur danse de séduction sur un dancefloor imaginé à la concrétisation d’un acte, plus que suggéré. Dans un décor de boîte de nuit berlinoise — trois enceintes posées au sol, deux suspendues, le tout plongé dans un gris industriel — les deux interprètes donnent corps à leur désir sur une musique techno minimale, sombre et viscérale, étrangement charnelle. L’épure du dispositif et l’économie narrative servent ici une intention démonstrative: le public est invité à regarder deux corps se rapprocher, entrer en contact, créer entre eux des tensions et des rapports d’attraction. La chorégraphie, mélange de danse urbaine, contemporaine et de gestes suaves plus instinctifs, est conçue comme un enchaînement ininterrompu, donnant à l’ensemble le sentiment d’une fluidité qui s’étend des corps isolés au duo.
This Is Concrete installe la possibilité de cet échange physique, érotiquement chargé, entre deux corps qui n’écrivent rien d‘autre que le récit de leur désir ponctuel. Danse érotique incarnée avec énergie, ce fantasme monté en scène place le public en position de voyeur.
La pièce s’ouvre sur Thiago Granato et Jefta van Dinther dansant autour d’un haut-parleur, objet fétiche qui amorce le processus de séduction. La pulsation de la musique aménage une atmosphère langoureuse et sombre à laquelle répond l’ambiance lumineuse froide et intimiste, référence claire à la pénombre des clubs au décor post-industriel. Les danseurs évoluent lentement, au ralenti, dans une sorte de transe traînante, comme deux corps extasiés à la fois désinhibés et pesants.
Leur vocabulaire gestuel est principalement composé d’auto-caresses, de torsions des mains, d’étirements des bras, de fléchissement de genoux et de déhanchés de plus en plus explicites. Ils dansent d’abord séparément, ne se rencontrent que ponctuellement, cherchant le contact furtif à des points érogènes. Au sol ou sur une enceinte devenue podium, les deux interprètes désarticulés montrent à voir leurs corps jouissants, dans une lascivité masculine qui multiplie les positions suggestives: démarches chaloupées, jambe phallique posée entre les cuisses, danses du bassin et de l’éventail, seul accessoire de séduction extracorporel.
Un long baiser viril fait entrer la pièce dans une nouvelle partie. La lumière froide et confidentielle bascule dans un vert plus fantasmatique. Leur fougue installe une gestuelle sauvage et sans retenue: doigts dans la bouche, cheveux tirés, pressions des corps entre eux. Le déshabillage (partiel) est lui aussi violent, l’occasion de matérialiser les tensions et les liens qui unissent les deux hommes. Leurs corps transpirants se cherchent et s’excluent, se tournent autour et se confrontent dans un duo-duel excessivement vivant.
Le plaisir du spectateur se désinhibe progressivement, à mesure que la tension gagne en intensité. Cette évolution est bien tenue jusqu’au tableau final, certes un peu moins inspiré, ou simplement plus traînant. Incarnant une sorte de tristesse post-coïtale, les gestes des danseurs se font plus indolents, leurs corps allongés donnant preuve de leur complicité dans un ballet à quatre bras. En toute fin, cinq ballons blancs, symboles de la fête qui se termine et métaphore à peine voilée de gouttes de semence, clôturent la pièce, d’une manière peut-être un peu plus attendue.
Reste que cette chorégraphie du fantasme parvient sans aucun doute à faire naître le désir, celui de toucher, de voir ou de danser. Poésie urbaine et virile, physique et maîtrisée, This Is Concrete donne un souffle nouveau à l’esthétique de la danse érotique, exhibant la charge sexuelle et la sensualité qui transpirent de ces deux interprètes.