Paris se souvient de Fabrica, le centre de recherche sur la communication de Benetton, pour son exposition au Centre Pompidou en 2006 et sa communication spectaculaire… » Fabrica: les yeux ouverts ». Ce show nébuleux montrait la variété des applications de l’enseigne, qui offre aux jeunes créateurs la possibilité de réalisations en design, entre autres domaines. A la Tools Galerie, un focus plus précis sur deux séries récemment éditées.
Peu de noms: l’accent est mis sur les partenaires de ces éditions limitées, Fabrica et Secondome. Le sceau du marketing, qu’on a vite fait d’oublier en constatant l’amusement du directeur à disposer des monticules de matériaux sous les différentes cloches, initialement présentées en toute retenue. Un foulard sous la cloche-sac aux deux anses de cuir; un petit tas de bois sous la cloche-extincteur… ou éteignoir. Car une cloche protège et présente le divers : fromages, pâtisseries, plantes, avec sobriété et transparence.
Loin de ce souci d’uniformisation, les designers s’emparent de sa préciosité. Ils la déclinent en des versions risquant son bon goût… et de la faire voler en éclat! En clin d’oeil au verre soufflé, l’une d’elles se termine en noeud de ballon de baudruche, quand le sommet d’une autre se ferme avec le bouchon en plastique d’une bonbonne à eau. Précarité, trivialité: on passe du pied de nez à la provocation devant cet exercice de style, comme une série d’atteintes à l’intégrité de la cloche. Il est même question de la briser avec un marteau, mais le galbe du verre épouse en creux son attaque. Et les artistes rient plus encore de l’équiper d’un guidon ou d’un klaxon, imaginant l’accident d’un tel véhicule et le bris du verre causé par son bruit tapageur. Ils suggèrent enfin d’en salir l’image, lorsqu’un tuyau de poêle en sort ou que deux oreilles de porc lui poussent, comme pour rappeler la douce hypocrisie des arts de la table…
Même évacuation de la chair pour Imaginaires. La vaisselle à choux, traditionnellement bigarrée, est laissée blanche. Contre l’usage, elle est parsemée de trous. En place, le designer en appelle à l’imagination de l’usager. Le broc ne peut plus contenir d’eau à ras-bord ? Il devient vase ou soliflore… Et ce pour servir, les petits plats dans les grands, un essai décoratif, esthétique et technologique sur le réseau. Les pièces de céramique s’empilent comme un jeu de construction: les demi-choux sont reliés, emmêlés de fils électriques ordinaires qui dessinent une nouvelle réalité, notre modus vivendi.
Sous ce jour ce dernier paraît des plus singuliers, comme avant ou après la fête. Qui croirait à cet univers hybride aux greffons de végétaux et d’éléments de connectique ? Il est pourtant tellement assimilé qu’il devient motif, brodé argent sur la nappe et les serviettes suspendues comme un ciel. On y croise des insectes-douilles, des tiges électriques et des prises comme des bourgeons.
Les designers de la Fabrica s’interrogent sur le système interconnecté qui assure leur visibilité: ce monde va-t-il susciter un meilleur design ? Pour une discipline qui puise indéfiniment dans les racines de la tradition, que signifie l’innovation hormis celle des moyens à la disposition de son art ? Elle ne va pas sans la filiation des formes et des usages, chaque fois revisités avec originalité, mais l’audace y est souvent pour flirter avec les limites du design et la vanité de dépasser son classicisme.
Sur la table, une horloge retournée (ou un plateau à fromage ?) figure un temps suspendu tandis qu’au mur, douze autres mécanismes font entendre leur tic-tac en décalé, comme plusieurs temporalités en quête de synergie. L’occasion pour la Tools de confirmer son engagement pour la recherche et la convergence entre les acteurs d’une scène aux frontières poreuses, à la faveur d’expérimentations relatives aux modalités de notre habitation au sens large.