La première machination, Sirène (2006-2007), de Thierry Fournier s’attaque à la voix humaine, celle d’une moderne castafiore, Maryseult Wieczoreck, captée pour l’éternité en vidéo. Au moyen d’une simple souris d’ordinateur, le spectateur a la possibilité d’affoler la diva à son gré, de lui faire perdre même, s’il le souhaite, une partie de ses moyens.
Bien vite, cette dernière se mettra à pousser des cris d’orfraie (ou d’effroi) dont le suraigu dépasse le registre de la coloratur et rappelle le son des ondes Martenot. Qui plus est, comme dans toute relation bijective, participative ou interactive, la cantatrice chevelue réagit au moindre coup de poignée de l’auditeur.
Peu à peu, l’informaticien amateur prend la main sur la suprême soprane. En accélérant les fréquences ou, si l’on préfère, en élevant le ton, on peut aisément changer le timbre de la voix d’une chanteuse opératique, au point de la rendre ridicule, de lui faire perdre son quant-à -soi, voire même totalement la face.
A+ (2008) est une caméra de non surveillance (floue, de surcroît) qui retransmet, après la bataille, sans se presser, donc, la psychopathologie de notre vie quotidienne captée 24 heures plus tôt sur le trottoir, à travers la vitrine du cinéma Lux de Valence.
Le déphasage ou décalage est ici implacable. Le spectateur n’y peut mais. La réalité est tenue à distance, éloignée dans le temps, délayée au sens anglais de «retardée», mais aussi au sens français de «diluée», par le passage du temps. On est dans un effet d’aura certainement plus photographique que vidéographique. N’était-ce ce flou qui pose problème, la réalité ne serait pas plus altérée que cela par une telle machinerie.
La pièce la plus épatante de l’exposition est sans doute le bassin d’eau dans lequel miroitent, un court instant, avant de s’écouler et de se fondre, des dessins exécutés par les spectateurs mêmes. Ce bref passage du statut de visiteur à celui d’acteur, pour ne pas dire artiste, est déjà , en soi, assez remarquable. Comme dans l’éphémère Momi (Museum Of the Moving Image) de Londres, les enfants, surtout, prennent plaisir à s’exprimer sur l’ardoise magique d’un épiscope électronique conçu par Thierry Fournier et ses collaborateurs, à voir le dessin s’évanouir, littéralement, dans la nature. L’image apparaît à côté de celles qui ont été exécutées un peu plus tôt en suivant un mouvement anticyclonique anti-horaire — celui du flux naturel de l’eau dans l’hémisphère sud.
Les Å“uvres de Thierry Fournier analysent finement les notions de mouvement, de perception, de cycle, de temporalité, de fugacité… Avec l’aide de bricoleurs astucieux et d’informaticiens pointus (Jean-Baptiste Droulers, Samuel Faquin, Mathieu Chamagne, Jasch, Pascale Langrand, etc.), l’artiste développe ce qui pour certains ne sera que simples jeux d’enfants ou expérimentations pas très fascinantes en tant que telles, mais qui ont l’avantage de présenter une réalité digne d’être contemplée.
Le piège optique du bassin à dessin est à double ou à triple détente: on passe d’une dimension à l’autre (de l’écran tactile au plan d’eau, des cristaux liquides au bac à signes), on intervient sur le mouvement «naturel» de l’écoulement par simple apposition des mains, comme dans un acte de magie ou de thaumaturgie, on assiste à la dématérialisation de l’image. Faut-il rappeler que celle-ci n’était, de toute façon, que virtuelle?
Liste des Å“uvres
— Thierry Fournier, A+, 2008. Installation vidéo. 90 x 80 x 200 cm
— Thierry Fournier, Open Source, 2008. Installation interactive. Dimensions variables
— Thierry Fournier, Point d’orgue, 2009. Installation interactive. Dimensions variables
— Samuel Bianchini et Thierry Fournier, Sirène, 2007. Installation interactive. Dimensions variables
— Thierry Fournier, Step to Step, 2008. Installation interactive. 370 x 410 x 250 cm
— Thierry Fournier, Infocus, 2009. Diapositives et installation. Dimensions variables
— Thierry Fournier et Jean-François Robardet, Frost, 2008. Sculpture, dispositif sonore temps réel et performance. Dimensions variables