Créée en 1984, Them a depuis subi une forme de censure, exacerbant le caractère subversif de cette rencontre en scène des textes de Dennis Cooper et de la danse d’Ismaël Houston-Jones sur la musique de Chris Cochranne.
Presque trois décennies plus tard, découvrir cette pièce au Centre Pompidou en écho au Nouveau Festival et sa thématique spirit, c’est un peu tendre l’oreille pour écouter des voix lointaines, spectres issus d’un temps passé que l’on aurait à l’époque refusé d’entendre.
Ainsi, tel qu’on imagine ces fantômes, Them est restée éternellement jeune, n’a pas tellement vieilli, pourrait presque être actuelle. Contemporaine de la découverte du SIDA, la pièce porte en elle cette ombre terrible, ce danger mortel que trente ans n’auront toujours pas éradiqué.
C’est donc un constat douloureux d’admettre qu’un des sujets de la pièce n’a pas complètement disparu avec les années.
L’autre part importante, c’est celle du désir. Son expression violente, frontale, comme l’est la confrontation des corps, du texte et de la musique. Un montage qui livre chaque élément au spectateur dans son entière crudité, sa beauté intacte et parfois effrayante.
Les textes de Dennis Cooper, énumérations de rencontres à caractère sexuel, s’enchaînent comme on tisse justement des liens, jusqu’à leur reprise en boucle par une autre voix, une autre bouche, à la fin du spectacle. Processus qui rappelle la transmission du virus, de rencontre en rencontre, de corps en corps, comme une histoire qui se répète sans être vraiment la même.
A côté ou perdus dans ce flux de mots, de descriptifs banals et pourtant précis, les danseurs jouent les trois phases de la rencontre avec une spécificité remarquable dans l’impossible croisement des regards: les yeux scrutent mais ne se rencontrent jamais. Seuls les corps se confrontent, s’entrechoquent comme dans une lutte, un combat avec plutôt que contre le désir.
Pourtant ce n’est pas bestial.
Il y a évidemment de la force mais ce qui émerge apparaît aussi d’une grande délicatesse. Une grâce évidente transparaît dans ces corps et se révèle dans les appuis des interprètes, hissés sur pointes, tordant leurs baskets pour gagner en hauteur, en élévation. Bras, jambes, nuques aspirent ainsi à un même devenir, une érection, parfois épileptique, toujours franchement intense et vitale.
Les garçons sont particulièrement beaux, la guitare rock, et de voir toute cette énergie sombrer dans la mort comme dans la violence pure provoque un puissant sentiment d’effroi. S’y mêle un instant l’excitation, avant que tout ne bascule dans un doute malade, où les gestes d’embrassade se transforment en palpations angoissées puis en attaques sournoises.
Pour qui n’aurait jamais déchiffré la feuille de salle, se serait bouché les oreilles et ne saurait donc rien de la pièce, la lecture reste évidente.
On comprend vite ce qui se trame devant cette recherche systématique de masses, de ganglions au cou, aux aisselles, à l’aine… Mouvement qui avait été légèrement esquissé en début de spectacle mais qui prend toute sa dimension d’horreur à la fin.
On aurait aimé que ces gestes soient définitivement enterrés, en paix, même si tout ce qui les précède touche au sublime.