Interview
Par Caroline Lebrun
Suite à l’exposition intitulée « Maison/Témoins » qui vient de prendre fin le 27 mars dernier, The Store est contraint de déménager. Libération des lieux oblige. Un moyen peut-être de faire une nouvelle fois peau neuve pour une structure placée sous le signe du questionnement et d’une perpétuelle évolution. Installer l’art sans s’installer : un défi que les organisateurs sont bien décidés à relever, en cherchant toujours une manière différente de présenter les œuvres. Entretien avec Rémy Bosquère, Marie Cozette et Julie Pellegrin co-fondateurs de l’association et commissaires des différentes expositions.
Caroline Lebrun. Comment avez-vous été amenés à travailler en commun ? Qu’est-ce qui vous a motivé à monter ce projet ?
Rémy Bosquère, Marie Cozette et Julie Pellegrin. Nous nous étions rencontrés à la DAP (Délégation aux Arts Plastiques), lors de l’exposition « Trésors Publics » qui était présentée dans le cadre du vingtième anniversaire des FRAC (Fonds Régionaux d’Art Contemporain). A l’occasion de ce premier travail en commun, nous nous sommes rendu compte que nos goûts étaient proches et nous avons eu envie de continuer ensemble. Une opportunité s’est présentée qui nous a permis de concrétiser le projet. Le propriétaire de la galerie, rue Tessier, nous a proposé de disposer du lieu en attendant de le mettre en vente. Nous étions totalement libres d’y faire ce que nous voulions.
C’est à cette date, en octobre 2003, que nous avons créé l’association The Store. Nous avons alors présenté une première exposition intitulée « Quitte à sauver le monde, autant le faire avec style ». Le succès de ce projet nous a poussé à en monter d’autres. Aujourd’hui, nous devons libérer le lieu, cela était prévu depuis le début. Nous cherchons maintenant d’autres solutions.
De quelle manière pensez-vous poursuivre votre activité, en attendant de trouver de nouveaux locaux ? Avez-vous noué des partenariats avec d’autres structures ?
Nous cherchons à travailler à l’invitation d’autres structures. Le 30 avril, nous participerons par exemple à une exposition organisée dans la banlieue de Lyon, au Fort du Bruissin , où nous disposerons d’un espace pour notre propre programmation vidéo. Il s’agira de projections de films autour d’une problématique portant sur le corps en mouvement et son rapport à l’espace public.
Nous travaillons aussi en association avec une autre structure – Window 42 – basée à Londres sur un projet en ligne qui permettra la diffusion d’objets d’art sous forme de fichiers PDF, téléchargeables gratuitement sur Internet. Notre objectif est d’utiliser les spécificités du Web pour présenter autrement des œuvres et pour regrouper deux structures en un même lieu virtuel. Lors de notre seconde exposition, en janvier 2003, nous avions déjà travaillé avec des collaborateurs extérieurs. En marge de la préparation de l’exposition « Maison/Témoins », nous partagions les locaux avec des commissaires indépendants de Paris Project Room PPR qui préparait une exposition carte blanche.
Comment choisissez-vous les artistes avec lesquels vous travaillez ?
Lors de la dernière exposition nous avons présenté cinquante-trois artistes. Parmi eux, il y en a certains que nous connaissions déjà , d’autres que nous avons découvert à l’occasion de notre appel à projet. Nous présentions à la fois des productions existantes et des pièces spécialement créées pour l’exposition.
En quoi consistait l’appel à projet ?
Nous avons proposé un synopsis et une liste de mariage dans laquelle les artistes étaient libres de piocher ou non des objets. L’idée était de transformer la galerie en maison afin de sortir du dispositif d’exposition classique et d’installer le spectateur dans une intimité avec les œuvres. Nous souhaitions aussi montrer une diversité de pratiques artistiques à travers différentes œuvres empruntées à différents artistes.
Quelles sont les sources de financement de l’association ? Etes-vous parvenu à vendre de nombreuses œuvres ?
Nous avons la forme d’une galerie non commerciale. Nous vendons les œuvres sans prendre de pourcentage de commission. Notre première exposition était auto financée. Mais cette fois-ci, nous bénéficions de subventions de la part de la DRAC (Direction régional des Affaires Culturelles). Ces subventions nous ont permis d’aider à produire certaines œuvres qui ont été conçues pour l’exposition. Notre objectif est d’abord d’offrir un espace d’exposition. Les ventes sont un plus mais cela reste limité. Nous avons surtout vendu des multiples (CD, livres, éditions…) qui étaient dans les prix les plus abordables.
Que pensez-vous de la politique culturelle actuelle concernant les aides en direction de l’art contemporain ? Peut-on facilement se voir attribuer des subventions ?
Nous sommes globalement très soutenu en matière de subventions si l’on compare à d’autres pays. Cependant, ce soutien ne signifie pas que tout est réglé. Il faut que cela soit complété par d’autres démarches qui représentent un gros travail administratif. Les systèmes privés sont plus durs mais parfois plus rapides…
Pour obtenir des aides de l’Etat, doit-on répondre à une demande ou a-t-on une pleine liberté de programmation ?
C’est la singularité du projet, la nature du lieu, le type d’initiative qui sont pris en compte. En ce qui nous concerne, nous avions déjà un financement propre qui nous avait permis de monter un projet solide et de montrer une première exposition dans un lieu qui avait su faire travailler des artistes et accueillir un public. C’est la tenue de notre travail qui nous a valu l’obtention de subventions. Il faut montrer sa motivation, exposer ce que l’on a envie de faire et non pas répondre à une demande. Malgré cette liberté, c’est une responsabilité de disposer de l’argent public.
En quoi The Store représente pour vous un lieu transversal ?
The Store s’inscrit dans une généalogie de lieux qui ont proliféré au début des années 90 comme la Cubic Gallery à Londres ou le Centre d’art contemporain Fri-Art de Fribourg. Il existe toute une typologie de lieux indépendants qui n’adoptent pas une démarche commerciale et ne sont pas des institutions. Ensuite cela se décline sur plein de configurations différentes qui induisent une diversité d’approches.
L’objectif est de présenter des artistes sans galerie qui ne sont pas représentés dans les institutions et de montrer l’hétérogénéité de la création actuelle. A Paris, il n’existe pas beaucoup de lieux transversaux. Avec The Store, nous souhaitons nous inscrire en décalage par rapport aux structures existantes. Lors de notre dernière exposition, nous avons voulu réunir plein de conceptions différentes en regroupant cinquante-trois artistes qui pouvaient être figuratifs, narratifs, appartenir au cinéma ou à la danse…Notre idée était de présenter des formes reconnaissables ou familière dans des lieux également familiers pour engager une discussion.
Que pensez-vous de la réception que le public a de l’art contemporain ?
Avec le dispositif de la maison, nous voulions éviter de distancier les choses et d’établir une frontalité entre le public et les œuvres. L’exposition prenait en charge le problème de l’accessibilité de l’art contemporain en proposant une solution et une réflexion. Les artistes ont montré qu’ils étaient touchés par le problème de la réception du public et de la difficulté de présenter les œuvres. Ils avaient envie de jouer différemment l’exposition ! Ici nous nous sommes rendus compte – à notre surprise – que le public rentrait facilement, que la galerie pouvait être un lieu vivant. Tout n’est pas aussi morose qu’on voudrait nous le faire croire.
En France, on entretient la confidentialité de l’art contemporain qui est liée à une vieille idée d’élitisme consistant à penser que l’art perdrait de sa puissance critique en se rapprochant de la masse…On ne montre pas les œuvres dans l’esprit où elles ont été faites.
En Angleterre par exemple, ce n’est pas le cas, l’art contemporain est beaucoup plus médiatisé. Il faudrait laisser le public prolonger les œuvres, les expérimenter, les toucher si cela est prévu et ne pas casser les plaisirs.