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The Razzle Dazzle of Thinking

À l’entrée, deux parcours s’offrent à nous: «Wild to Wild», la partie exposition, ou «The House of Horrors», un authentique train fantôme produit spécialement pour l’occasion. Mais quel que soit le choix fait, nous reviendrons au point de départ après avoir (beaucoup) tourné en rond avec plaisir.

Dans la section intitulée «Wild to Wild», Sturtevant interroge le statut de l’œuvre d’art dans son rapport à la copie et à la répétition à travers des reproductions d’œuvres et des vidéos lancinantes.

Depuis les années soixante, elle réalise à l’identique des œuvres fondatrices de l’art contemporain. Elle présente ici le rideau d’ampoules électriques de Félix Gonzales-Torres, la chaise de cuisine surmontée d’un amas de graisse de Joseph Beuys, une peinture de Frank Stella sur aluminium aux bandes monochromes grises et coins entaillés, ou une toile de Keith Haring.
Et, créant une sorte d’exposition dans l’exposition, elle reconstitue minutieusement le dispositif conçu par Marcel Duchamp pour la «Première exposition internationale du Surréalisme» à Paris en 1938. Dans une salle exiguë, des sacs de charbons en toile de jute suspendus au plafond surplombent un brasero. Des ready-mades sont disposés ça et là: la Pelle à neige, deux Porte-Bouteilles, la Roue de bicyclette, la Joconde détournée L.H.O.O.Q, un portemanteau fixé au mur, des plaques avec la mention «Eau et gaz à tous les étages», le célèbre urinoir renversé Fontaine, et la fenêtre à battants miniatures Fresh Widow.

En nommant ces répliques Gonzales-Torres Untitled, Beuys Fettstuhl, Stella Union Pacific, Keith Haring Untitle, ou Duchamp 1200 Coal Bags, Sturtevant les fait siennes et admet d’emblée la copie comme un acte de création. Car les œuvres «originales» n’ont pas été choisies par hasard: elles ont renouvelé la pratique artistique d’une façon si décisive qu’elles sont devenues, contre toute attente et contre elles-mêmes, des «fétiches» de l’histoire de l’art.
Sturtevant ne copie pas, en re-fabriquant ces «fétiches», elle dédouble aussi leurs questionnements et les réactualise.

Plus récentes pour la plupart, les vidéos mettent en scène le motif de la boucle et de la répétition à l’infini. Duchamp Ciné/Duchamp Nu descendant un escalier est sans doute le dispositif le plus complexe, entre la copie et la démultiplication d’images hypnotiques.
Deux séquences de films de Marcel Duchamp s’entrecoupent: l’une, psychédélique et abstraite est animée par divers motifs de spirales; et l’autre, répète une amorce de décente d’escalier. Au centre de la projection, si l’on actionne une manivelle de moulin à café, des images de Marcel Duchamp entre la Pelle à neige, la Roue de bicyclette, et bien d’autres choses, défilent dans une minuscule ouverture.

Ce mécanisme se répercute sous la forme d’images répétées et zappées sur de multiples écrans de télévision (Elastic Tango); images de la course folle sans cesse recommencée d’un chien noir (Finite/Infinit); images de la lecture en décalé de L’Ethique de Spinoza en latin sur des écrans monochromes soigneusement dissimulés (Vertical Mohad); ou encore, images d’une fuite inutile dont les vues fixes, projetées au raz du sol, tournent en rond (Diligger Running Série1).

Dans «The House of Horror», Sturtevant invite le spectateur à monter à bord d’un train fantôme, une installation entre l’attraction de fête foraine et le musée des horreurs. A l’intérieur, Divine, l’icône trash de John Waters côtoie la star gore de l’art contemporain Paul McCarthy en pleine performance de The Painter, tandis que la Dead Head de Damien Hirst se mêle aux traditionnelles chauves-souris et autres créatures de Frankenstein.
Ce dispositif en carton-pâte, utilisant tous les clichés du genre, entraîne le public dans un tour des performances infernales, entre sueurs froides et divertissement.

Par son train fantôme, ses doubles d’œuvres historiques, ou ses vidéos, Sturtevant suscite une impression de «déjà vu», un sentiment d’assister à une scène pour la deuxième fois. Ou plutôt de «déjà vécu», tant ces œuvres dépassent le simple leurre de la mémoire et agissent directement sur la sensation.
Les répliques ne sont pas des copies vides offertes au regard, mais des œuvres dont la présence unique a été restaurée. Et les vidéos, où toujours quelque chose ripe, zappe et dérape, semblent reproduire ce mouvement du cerveau qui, s’arrêtant une fraction de seconde, réinterprète l’instant présent comme arrivant de nouveau. Piégeant les sens, les œuvres de Sturtevant créent l’illusion, non pas de voir double, mais de vivre à nouveau.

Ce retour inlassable du même renvoie bien plus aux mécanismes de la musique qu’à une tradition historique de la copie. Car Sturtevant sample plus qu’elle ne reprend, elle ne modifie rien.
La reprise est un hommage à un modèle, un retour aux origines en même temps qu’une réinterprétation. Le nouveau morceau repris et réarrangé devient autre, comme lorsque les Animals reprennent Boom Boom de Joo Lee Hooker. Joo Lee Hooker a composé un morceau de blues culte et les Animals en ont fait un tube sauvage et débraillé pour faire danser la jeunesse des 60’s.
Le sample, lui, ne glorifie rien. C’est une réutilisation, un «break», un fragment de morceau qui tourne en boucle, intact. Un rythme que l’on mixe avec d’autres, que l’on «scratch» parfois, et que l’on relance. L’originalité du sample vient de son mélange avec d’autres matériaux tout comme dans le travail de Sturtevant. Elle ne tient aucun discours sur les Å“uvres qu’elle duplique. Elle reproduit ou mixe les images avec toujours ce léger décalage comme si quelqu’un avait posé, un instant, un doigts sur la bande. Elle incarne ce passage d’une technologie à une autre: avec le sample, on passe de l’électrique à l’électronique, et l’électronique, comme les images virtuelles, englobe tout.

Sturtevant sample des réalités disjointes et des objets hétéroclites. Elle réunit les théories de l’art et le frisson de terreur spectaculaire. Il en va peut-être de son art comme de se prendre au jeu, de tourner en boucle et d’oser «pauser» d’autres mots sur ses œuvres.

Liste des œuvres
— Sturtevant, Gonzalez-Torres Untitled (America), 2004. Rideau d’ampoules.
— Sturtevant, Finite Infinite, 2010. Installation vidéo (projection murale).
— Sturtevan, Vertical Monad, 2007. Installation vidéo sur 3 moniteurs
— Sturtevant, Beuys Fettstuhl, 1993. Installation, matériaux divers.
— Sturtevant, Duchamp Cine, 1989 / Duchamp Nu descendant un escalier, 1967. Installation vidéo, avec ciné box et manivelle de moulin à café.
— Sturtevant, Duchamp 1200 Coal Bags, 1972.
— Sturtevant, Stella Union Pacifique, 1989.
— Sturtevant, Keith Haring Untitled, 1987.
— Sturtevant, The House of Horrors, The painter, 2010.
— Sturtevant, The House of Horrors, Frankenstein, 2010

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