ART | EXPO

The Pursuit of Happiness

30 Oct - 29 Nov 2014
Vernissage le 30 Oct 2014

L’américain Jason Glasser présente un ensemble de toiles sous la bannière d'un titre à l'optimisme flagrant: «La Poursuite du Bonheur». Des peintures à la touche douce, où se révèle un regard humoristique et une insistance sur les images réconfortantes, qui renvoient à une véritable banalité américaine.

Jason Glasser
The Pursuit of Happiness

A la fin des années 1980, un groupe de jeunes musiciens vaguement affiliés, tous originaires du Texas, a décidé que l’optimisme flagrant de l’Americana — qui a fleuri au milieu du siècle — avait été entièrement gommé par un sentiment d’amer cynisme. Celui-ci vraisemblablement alimenté par une considération ironique, voire ennuyeuse, portée sur la culture par les théoriciens postmodernes et un marché en expansion qui laissait peu de place à la douceur, la sincérité ou à la sur-crédulité. Ce cynisme était devenu la marque de fabrique de l’intellectualisme américain, figurant au cÅ“ur même de la production culturelle.

En réponse, ces groupes ont commencé à émerger sur la scène clandestine d’Austin. Ils forment alors un ensemble, un genre mal défini de rock alternatif — plus tard identifié par les critiques comme «la nouvelle sincérité» — opposé aux impératifs postmodernes: l’indifférence et la suspicion collective. Cette approche signifiait notamment que le genre était condamné dès le départ: en s’opposant à l’ironie en vigueur et à l’amertume de la culture à travers la réintroduction de la vulnérabilité et l’authenticité dans leur son, ils se sont positionnés, plutôt involontairement, contre les caractéristiques mêmes qui en étaient venues à définir le marché. C’est-à-dire que la négation étant devenue la méthode culturellement acceptée pour extraire «le nouveau», et «le nouveau» avait été désigné comme la stratégie de survie préférée du marché, le mouvement de la sincérité est apparu au public comme anti-rebelle, nostalgique de façon démodée et, disons-le, tout simplement banal.

Pourtant, comme David Foster Wallace a remarqué dans un essai de 1993 sur la fiction américaine, les vrais rebelles sont ceux qui risquent en toute conscience la désapprobation. Ce sont ceux qui «risquent le bâillement, les yeux levés au ciel, … la parodie des railleurs doués.» C’est ici, peut-être, qu’émerge la ligne la plus tangente de l’exposition de Jason Glasser. Le titre d’un optimisme flagrant: «The Pursuit of Happiness» (La Poursuite du Bonheur), renvoie à une véritable banalité américaine, depuis longtemps dissociée de son origine dans la Déclaration d’Indépendance.

Jason Glasser, néanmoins, risque «les yeux levés au ciel» des pères fondateurs en adoptant la phrase pour contextualiser ses peintures récentes et, ce faisant, c’est un retour à la discussion abandonnée dans les années 90. Notamment, un peu comme la musique produite dans la philosophie de la Nouvelle Sincérité, le contenu du travail a peu à voir avec le genre d’insurrection sans prétention qui en résulte. De façon étrange, les peintures semblent être des rendus timidement maladroits de sujets discontinus, tels des Å“ufs au plat et des chevaux au galop, des panthères noires perdues dans la jungle noire, ou des scènes de films à grand succès remastérisés à l’acrylique déliquescent —une indécision presque adolescente, plus attendue d’un programme maladroit d’un groupe de musiciens clandestins que d’une exposition de peinture dans une galerie.

Pourtant, c’est précisément cette précarité, cette conscience nerveuse de soi qui se manifeste à travers les peintures et devient le raccourci intellectuel qui donne sa profondeur au projet. D’une part, cela se formalise par un écart symbolique — et culturel — de la matérialité. En rendant chacune des Å“uvres sur toile, Jason Glasser se positionne comme un «American in Paris», Gershwinien adoptant les influences et les traits liés à une atmosphère traditionaliste «Beaux- Arts», tout en succombant à des moments nostalgiques. Ainsi que le critique Deems Taylor l’a noté à propos de la comédie musicale originale de 1951 «La nostalgie n’est pas une maladie mortelle»; Jason Glasser instrumentalise ce sentiment, s’autorisant une histoire personnelle liée aux icônes culturelles comme Tom Petty, les sandwiches Subway et John Divola, signifiant sa position en tant que peintre, même elle peut sembler un peu laisser-faire.

D’autre part, le vif désir de Jason Glasser de poursuivre la peinture dans un sens (matériellement) traditionnel affiche une volonté de faire reconnaître les «peintres du dimanche», pas comme avant-garde, mais comme des émissaires porteurs d’une intention.

Il est vrai que les années 90 ont peut-être adopté un réalisme banal, mais l’ironie culturelle et la réflexivité (en particulier dans la peinture) n’ont jamais été totalement évitées. En fait, notre génération est peut-être plus ironique qu’elle ne l’a jamais été; la peinture devenant de plus en plus référentielle et «méta», alors que les réseaux de distribution et le capitalisme culturel se complexifient.

Le marché de l’art, plutôt que de suivre le mouvement des sincéristes et des puristes populaires pour débarrasser la société de son cynisme profondément enraciné, a fait de l’authenticité et de la banalité son nouveau pion. Notez, par exemple, la prolifération de la peinture abstraite d’aujourd’hui qui ne fait guère plus que de reproduire sans fin des copies hybrides et monochromatiques de Cy Twombly, Jean-Michel Basquiat et Georg Baselitz. Peut-être le «bonheur» que Jason Glasser poursuit n’est pas une affaire personnelle, mais plutôt une directive qui ose la sentimentalité afin d’explorer la possibilité de la peinture comme un geste authentique, plutôt qu’un véhicule entièrement auto-réflexif.

La question posée dans ces Å“uvres est la suivante: pourquoi même peindre si la peinture n’est finalement guère plus qu’une plaisanterie pour initiés ou quelque chose seulement comprise par quelques happy few? Ou est-il même possible d’accorder à la peinture les mêmes droits inaliénables de l’expression, la narrativité et le contexte implicite par sa structure matérielle, si l’on considère que l’ironie est maintenant non seulement une construction théorique, mais une partie intégrale de la création.

On peut soutenir que le but n’est pas d’abolir l’ironie — après tout, c’est un moteur de notre quotidien, il joue sûrement dans la confrontation chez Jason Glasser entre Americana «grunge» et son statut d’expatrié dans le monde artistique français. Au lieu de cela, la fonction semble résider dans la renaissance d’une certaine forme de radicalisme qui n’est, en fait, pas très radicale. Les peintures font écho à un passé récent où les enregistrements à domicile en direct, le «teen spirit» et la téléréalité étaient normatifs; où les peintres de New York des années 70 n’étaient pas encore «terminés» et étaient considérés comme étant un peu canoniques, et que les mouvements cultes comme le «slackerism», Dogme 95 et la Nouvelle Sincérité avaient convaincu l’avant-garde qu’une approche empathique envers son matériel était un atout culturel vital.

Chez Jason Glasser, la touche douce, l’actualité humoristique et l’insistance sur les images réconfortantes affichent simultanément ce qui est vraiment le risque dans le contemporain, incite le spectateur — ou le critique — à montrer lui aussi de l’émotion. Et peut-être à ne pas tout prendre au sérieux, après tout.

S.Tarasoff

Jason Glasser est né en 1968 aux Etats-Unis, Massachusetts

Vernissage
Jeudi 30 octobre 2014

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