Entrer dans l’exposition d’Emmanuel Lagarrigue, c’est faire l’expérience de la machine à remonter le temps. Souvenirs sonores ou visuels, bribes de mots, fragments d’images, écriture en filigrane, tout échappe aux sens comme à la mémoire.
Des photographies aux installations sonores tout n’est que traces fuyantes à peine perceptibles, tout plonge dans le doute et l’incertitude.
Dans chacune des propositions plastiques d’Emmanuel Lagarrigue, la disparition s’installe. Empreinte sonore pour les imposants Pristine Prisms, amplis raccordés par une structure de métal. Rien de saisissable, rien d’audible, des mots seuls, s’évaporant lascivement dans l’espace de la galerie. Chaque ampli correspond à une page d’une partition de John Cage. Dans ce déroulement narratif sans but, et sans fin, s’exacerbe un sentiment dramatique, d’insécurité, de latence pesante, d’absurdité. Un langage beckettien qui vient envelopper le reste des travaux présentés.
Dans cet univers insaisissable, chaque tentative de scénario s’évanouit dans l’inexistant, l’invisible. To Be Continued, composé des images d’un film qui n’a jamais été réalisé, évoque également ce non-sens, un espace spatio-temporel qui n’existe pas, une histoire qui aurait pu…, mais n’est pas.
Composée comme un roman photo, chaque image légendée donne le point de départ d’une histoire, dont on ne sait si elle est passée ou à venir. Un monde aléatoire, fait de paysage sans âme, à la limite du rêve conscient et d’un voyage rétrospectif dans des souvenirs enfouis. Un interstice ténu entre fiction et réalité, ou la quête d’une vérité tangible s’avère inutile.
Dans cet espace flottant, le visiteur a tout son rôle, rien ne s’offre à lui. Pour entendre les différentes lectures du texte de John Cage, il faut circuler autour de l’installation d’amplis, pour lire les messages des barres de plexiglas adossées aux murs, It Is A Separate World, il faut s’approcher, se tordre ou bien encore passer sa main derrière l’objet pour révéler la phrase inscrite sur ces surfaces transparentes.
Le contenu des œuvres ne se révèle qu’avec toute l’attention et la participation du visiteur. Pour reprendre Nicolas Bourriaud, «L’aura de l’art ne se trouve plus dans l’arrière-monde représenté par l’œuvre, ni dans la forme elle-même, mais devant elle, au sein de la forme collective temporaire qu’elle produit en s’exposant» (L’Esthétique relationnelle).
Ici, rien ne s’impose, aucune évidence, pas même dans la matérialité des objets, qui ne trouvent leur contenu qu’en relation avec un visiteur curieux, à la recherche de sens.
Le souvenir se révèle fragile et évasif, aussi mince que la trace qu’il laisse, aussi flou et incertain que les images auxquelles ils renvoient… Légende de la dernière photo des Pristines Prisms : «Certaines choses, nous ne les saurons jamais avec certitude».
Emmanuel Lagarrigue
— Pristine prisms #11, 2008. Haut parleur et acier. 120 x 120 x 200 cm
— To be continued, 2008. Photographie couleur. 40 x 50 cm chaque.
— Pristine prisms #5, 2008. Haut parleur et acier. 120 x 80 x 100 cm
— It is a separate world, 2008. Altuglas gravé. 197 x 3 x 3 cm (dimensions variables pour chaque)
— Still no guides, 2008. Haut parleur, acier, tubes fluo, cables. Dimensions variables.