Laurent Grasso
The Player – Sans titre (Projection)
Les dispositifs vidéo de Laurent Grasso nous mettent en présence d’événements étranges et dépourvus de la moindre explication. On ne sait rien et on ne saura pas. Il ne reste qu’à assister aux scènes qui maintiennent l’ambivalence entre réalité et image mentale, science et irrationnel, faits et paranoïa…
Nombre de ses vidéos reproduisent des phénomènes naturels de manière artificielle. Au passage, l’artiste y intègre des éléments a priori irréalistes. Par exemple, il combine une éclipse et un coucher de soleil (L’Eclipse, 2006), présente une aurore boréale électronique datée de 1619 (1619, 2007) ou un curieux nuage de poussière concentré d’une antenne de télescope astronomique (Time Dust, 2008). L’élément technologique cité dans ce dernier exemple n’est pas isolé. L’artiste en figure de manière récurrente: sphère géodésique et diverses antennes parmi lesquelles celles de HAARP (2009), l’inquiétante installation qui avait été présentée au Palais de Tokyo, reproduction d’un site (controversé) de recherche en Alaska sur la ionosphère, une haute couche de l’atmosphère qui réagit aux ondes électromagnétiques. Ces représentations traduisent des angoisses sociétales contemporaines, dans lesquelles les progrès scientifiques et technologiques sont suspectés d’effets néfastes et surtout, invisibles.
Dans la vidéo Sans titre (Projection) un nuage de nature inconnue se déplace dans les rues de Paris. Celui-ci parvient à conserver sa masse et sa forme dans sa course et négocie même les virages. Aucun indice ne laisse présager de son origine. Aucun feu n’est visible, il est impossible d’établir des relations de causes à effets. Le dispositif de projection plonge le visiteur dans une ambiance inquiétante et dans laquelle rien ne se passe vraiment. Un grondement sourd, presque imperceptible accompagne l’expérience.
Cela n’est pas sans rappeler des classiques de la culture populaire, dans lesquels la brume est porteuse d’angoisse. Citons par exemple le brouillard phosphorescent d’origine marine, élément central du film à sensation de John Carpenter, The Fog (1980). Son apparition en ville est synonyme de terreur imminente. Il matérialise également ce qui tient de l’invisible, une perception singulière de l’autre et de l’espace, l’installation d’un climat de paranoïa.
«La poussée au seuil du virtuel et du merveilleux que génèrent ces œuvres, inscrit le geste de l’artiste dans une filiation avec des époques où l’art, la croyance, la connaissance, la science semblaient inextricablement liées. Ces mystérieux soulèvements de la nature, tantôt considérés comme manifestations divines, hallucinations, phénomènes paranormaux, catastrophes naturelles: éclipses, nuées, météorites, que Laurent Grasso transpose tels des leitmotivs obsessionnels, questionnent notre sens de la réalité dans sa relation à l’histoire de la technique.
Entre fascination et inquiétude, onirisme et rigueur documentaire, jeux de court-circuitages temporels, les œuvres de Laurent Grasso, semblent vouloir restaurer la mémoire des choses disparues, des croyances et des représentations qui ont modelés l’histoire de l’homme pour mieux interroger notre degré de présence au monde actuel, où la science et la technologie, machines de raison, semblent faire si peu cas du mystère et de l’obscurité.» (Clara Guislain)