Camille Henrot
The Player – King Kong Addition
Révélée en 2005 par ses Room Movies — des productions cinématographiques créées à partir de pellicules retravaillées à la maison (grattage, dessin, etc.) — Camille Henrot poursuit son insatiable manipulation d’images et d’objets relevant à la fois de l’art, de la culture populaire et de l’industrie, des supports de mémoire dont elle explore le contenu, guidée par son fort intérêt pour l’autre, l’ailleurs, l’histoire… Au fil de sa production qui recherche indifféremment du côté du mythe ou de la réalité, apparaissent des «résistances mentales» et «résonances du passé».
Comme son titre l’indique, la vidéo présentée résulte d’une addition de King Kong. Par cela il faut comprendre la superposition des trois versions les plus marquantes parmi les adaptations cinématographiques de l’histoire du grand singe dévastateur: l’originale de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack datant de 1933, celle de John Guillermin en 1976 et, enfin, celle de Peter Jackson en 2005 (tout juste sortie lorsque Camille Henrot produit cette vidéo). Le résultat est difficilement compréhensible, parfois illisible, particulièrement éprouvant à regarder et à écouter pour le spectateur.
On devine cependant au travers des images assombries l’évolution des techniques et de l’esthétique qui distinguent trois époques différentes, trois âges du cinéma. On note par contre, au cœur de ces évolutions, la persistance de scènes devenues cultes (par exemple, le gorille s’attaquant symboliquement à la tour la plus haute — Empire State Building ou World Trade Center selon la période — et le déploiement armé qui en découle) dans lesquelles, inlassablement, la bête finit toujours par ressurgir. Telle une menace extérieure indestructible, traversant les époques depuis presque un siècle, King Kong, cet être sauvage qui bouleverse la superpuissance civilisée ne cesse d’être réactivé, réveillant à chacun de ses passages des frictions entre forces primitives, évolutions technologiques et société du spectacle.
De quoi ces répétitions sont-elles indices? Dans quelle mesure le traitement de ce mythe populaire peut s’envisager comme révélateur de la société qui le relate?
«Je ne conçois pas le temps comme une ligne mais plutôt comme un feuilletage, une géologie dans laquelle les couches peuvent émerger ou s’enfoncer, un peu comme dans le film King Kong où chaque version du film prend tour à tour le dessus. La notion de temporalité ne peut être réellement examinée qu’à travers la relation entre l’homme et son environnement, c’est la raison pour laquelle King Kong par exemple est une histoire intéressante: peut être est-ce parce qu’à travers le destin de ce personnage monumental, c’est le basculement du rapport de l’homme à son environnement qui se rejoue tous les quinze ans depuis 1933? King Kong revient sans cesse, comme une peur souterraine: celle d’un état sauvage terrifiant mais surtout peur de ce que devient ce nouveau monde “civilisé” qui le remplace, celui du music hall et des avions mitrailleurs.»
Camille Henrot