Benjamin Nuel
The Player – Hôtel
Au travers de l’Hôtel, un projet aux formes et développements multiples s’inspirant de l’univers des jeux vidéo 3D, Benjamin Nuel explore les potentialités de l’espace et du déplacement comme moteurs de narration au sein d’un univers en constante évolution.
Hôtel, c’est avant tout un lieu. Un espace à part, hors du temps, qui permet de développer un état particulier, une situation incongrue à explorer. Son graphisme 3D et ses personnages guerriers évoquent ceux d’un jeu vidéo d’action mais la comparaison s’arrête là . On comprend vite que le site n’est pas un champ de bataille, mais plutôt une maison de repos, et que les terroristes et soldats présents ont cessé tout «shoot ‘em up» («descendez-les tous»). N’incarnant plus le prolongement actif du joueur, les personnages sont autonomes, discutent, jouent, s’essaient au théâtre et à tout ce qui peut remplir leur oisiveté. On assiste là au basculement de la posture (supposée) de vacuité du joueur, vers son personnage.
L’ensemble est en complet décalage, tout est source de trouble. Benjamin Nuel casse les codes, non pour dénoncer le genre, mais pour favoriser quelques émergences: «De ce vide serein, propice à la contemplation réflexive comme à la déconstruction, de ce retrait étrange, tout à la fois intellectuel et sensible, pourraient bien surgir des phénomènes, créatures ou rencontres insolites.» (Etienne Armand Amato)
Les déplacements dans l’Hôtel sont propres aux jeux de tir en vue subjective, c’est-à -dire que l’on voit à travers les yeux d’un personnage. C’est comme une caméra qui avance avec, en bonus, la liberté de mouvements qu’offre l’univers 3D.
L’artiste explore ici les relations entre cinéma et jeu vidéo. Cet intérêt pour les croisements entre les deux univers n’est pas isolé. Pour exemple, le réalisateur Gus van Sant avait fait part de l’influence du jeu Tomb Raider sur son cinéma: la réduction de la substance narrative dans Gerry ou encore le déplacement particulier de la caméra pour Elephant, sa façon de suivre les personnages inspirée par le jeu de tir en vue objective. Ce dernier s’était servi du jeu vidéo comme source d’inspiration à une esthétique du déplacement pour nourrir une narration; Benjamin Nuel, lui, reste dans le jeu vidéo et la 3D pour explorer ces relations au temps et à l’espace.
Dans l’Hôtel, la narration ne vient pas avec un récit qui se déroulerait dans la durée. Elle se développe lorsqu’on se déplace dans le lieu, que l’on rentre dans une nouvelle pièce, que l’on découvre les personnages. Pour chacune des saynètes de type «confession», un clin d’œil au format cinéma: deux bandes noires horizontales apparaissent en haut et en bas de l’image.
La première version d’Hôtel était un jeu vidéo, produit en 2008 au Fresnoy. Le court métrage ici projeté est un montage vidéo de ce projet initial. L’artiste cherchait à créer un monde virtuel sans but, laissant le potentiel ouvert. Le joueur s’y promenait librement, à la recherche d’éléments qui ne sont que des non événements. Plus on s’éloignait du point de départ, plus les erreurs et incohérences se multipliaient: objets qui flottent ou limites franchissables jusqu’à quitter l’espace défini.
Le projet a depuis connu d’autres formes. Une web-série de 10 épisodes (qui existe désormais montée en long-métrage) diffusée sur Arte creative racontait la destruction progressive du monde de l’Hôtel. En parallèle, une plateforme d’archives permettait de circuler dans l’univers détruit. Arrêté après 6 mois de fonctionnement, le site était pensé pour être en expansion permanente, nourri par les apports des internautes.