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The Notion Of Family (2002-Present)

24 Oct - 23 Nov 2013
Vernissage le 24 Oct 2013

L’œuvre de LaToya Ruby Frazier s’apparente à la grande tradition documentaire de la photographie, mais n’est pas réductible à un simple témoignage d’une jeune femme américaine noire et militante. Elle poursuit également le travail de Nan Goldin, de Francesca Woodman ou d’Allan Sekula dans son interprétation des marges et des lisières.

Latoya Ruby Frazier
The Notion Of Family (2002-Present)

Campaign for Braddock Hospital (Save our community Hospital), The Notion of Namily, Grey Area, avec ses séries de photographies en noir et blanc, LaToya Ruby Frazier cherche sur une période d’à peu près dix ans, à ajuster et définir un champ d’examen: rapports de voisinage, de contiguïté, de juxtaposition dressant un inventaire réaliste de la middle class noire américaine des années 2000.

A partir de ses clichés, LaToya Ruby Frazier a construit un véritable alphabet, un ciment qui assure un certain niveau de cohésion entre les éléments présentés, ceux ci perdant désormais leur statut d’être solitaires et apparaissant comme autant de figurants dans le jeu de la série. Son travail n’est jamais réductible à une simple description. Chaque photographie devient un lieu de transit et d’installation d’un paysage qui accorde asile aux événements du quotidien. Ses images sont les témoins fortuits d’un monde que l’on voudrait écarter, d’un quotidien mis entre parenthèses, celui du social, de l’achoppement, de la confluence des lisières.

Sa série probablement la plus célèbre The Notion of Family met en scène ses proches: clichés de sa mère, de sa grand mère, auto portraits. Toutes ont subi des atteintes physiques profondes mais LaToya Ruby Frazier a cette chance rare de savoir transformer ces images presque désespérées en une histoire portée par un roman familial qui s’est construit à travers plusieurs générations de femmes, et qui s’est enrichi de jalons où chacun s’accorde du mérite de l’autre. Si elle tisse, à partir de cette toile, une réalité de l’Amérique noire des années 2000, l’humain est toujours au centre de son discours plastique. L’irréciprocité, le froid dosage apparent de l’indifférence se nourrissent et s’enrichissent de ses portraits bien réels d’une cité post industrielle des Etats-Unis et sont générateurs d’empathie.

L’œuvre de LaToya Ruby Frazier s’apparente à la grande tradition documentaire de la photographie on l’a souvent comparé à Dorothea Lange ou à Diane Airbus, son travail fait aussi penser à Gordon Parks mais elle n’est pas réductible à un simple témoignage d’une jeune femme américaine noire et militante. Elle poursuit le travail de Nan Goldin, de Francesca Woodman, de Jenny Holzer, d’Allan Sekula et de Martha Rosler dans son interprétation des marges et des lisières. Elle est d’autant plus subversive qu’elle transcende la sphère souvent de l’intime, indiquant par là que quelque chose manque pour le redéployer en un universel plus humain.

En montrant pour la première fois des vidéos DETOX (Braddock U.P.M.C.), 2001, Momme Portrait Series (Wrestle), 2009, Momme Portrait Series (Heads), 2008, l’artiste confirme son engagement plastique. Si elle travaille sur la même thématique — sa famille et son environnement¬ — elle opère avec une conscience précise de ce qui se déroulera lors de la prise de vue et s’attache à en restituer le sens, cherchant ainsi à éviter toute lecture stéréotypée de son œuvre. Elle attribue à ses images de véritables charges de sens dont elle est à la fois guide et mémoire.

Si LaToya Ruby Frazier a une façon bien à elle de couvrir, de soustraire au regard les signes d’un univers désenchanté, elle sait mieux que tout autre susciter une fascination pour ce qui est montré et faire entrevoir la face cachée des choses. Elle sait retourner, distendre et magnifier des images simplement banales. Son travail se veut un miroir, juste reflet d’une perception de l’inconscient de son temps.

Ses photographies ne parlent pas. Elles distillent. Le noir et le blanc permettent l’approfondissement, l’estompage mais le noir a la propriété d’aggraver. Les visages et les gestes ne permettent nul trucage, nul subterfuge. La narration de LaToya Ruby Frazier est solide et elle n’est pas près de s’éteindre.

Françoise Docquiert, Octobre 2013

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