Dessinateur insatiable œuvrant chaque nuit, Marcel van Eeden accomplit ses dessins en suivant un protocole bien établi. Son inspiration prend source dans des livres, documents et vieux journaux qu’il chine notamment au salon du livre de La Haye, et qui doivent dater d’avant sa naissance, c’est-à -dire d’avant 1965.
Ainsi, l’artiste néerlandais utilise un matériel textuel et pictural datant du XXe siècle, afin de faire ressurgir un temps passé. Pourtant, ses œuvres ne relatent jamais de grands événements ou de faits marquants de l’Histoire. Elles s’attachent bien plus à restituer des moments banals, des scènes triviales.
Une première série de dix dessins se focalisant sur des vitrines, vient d’ailleurs illustrer cette tendance. Marcel van Eeden reproduit des vitrines de fleuriste, de confiserie ou de magasin vendant des bibelots. Il dessine aussi des façades vues d’extérieur avec leurs écriteaux et leurs néons, ou un angle de rue où trône une boutique, devant laquelle filent quelques passants.
Le répertoire de l’artiste néerlandais ne se cantonne toutefois pas à la représentation de scènes de vie passées. Il exécute notamment des œuvres où s’entremêlent plusieurs éléments formels, donnant ainsi naissance à des dessins composites. En effet, Marcel van Eeden a recours à divers composants provenant de différentes sources: silhouettes humaines ou animales, signes, chiffres, slogans, titre de film, gros plans sur des visages, des profils ou des corps.
Ces mixtes d’éléments accueillent aussi parfois dans leur composition des taches de couleurs vives. Les dessins de Marcel van Eeden procèdent donc d’une grande variété de motifs. Ils sont néanmoins systématiquement faits en noir et blanc et encadrés de bois foncé, preuve que cette œuvre disparate jouit malgré tout d’une grande homogénéité.
La pratique de Marcel van Eeden prend finalement toute son ampleur dans la série The Hotel, qui se compose d’un ensemble de vingt-cinq tableaux retraçant une intrigue inspirée des films noirs. The Hotel nous ferait ainsi presque penser à un story board, où des plans se succèdent accompagnés d’un texte narratif. La série débute avec des vues globales représentant l’architecture de l’hôtel et ses alentours. Nous pénétrons ensuite dans l’hôtel, avec des vues se recentrant sur le lobby de l’hôtel. Les gestes de l’artiste se focalisent alors sur des détails bien précis (chaises, table basse, plantes et escalier).
Une fois le décor planté, Marcel van Eeden nous introduit à proprement parler dans l’intrigue. Nous y retrouvons un protagoniste principal nommé Oswald Sollman, une femme, des réceptionnistes, et un groupe de quatre hommes louches squattant l’entrée de l’hôtel. Lors de cette intrigue relativement simple et jouant sur un registre réaliste, un certain suspense se fait sentir. Que font ces quatre hommes? Qu’attendent-ils? Pourquoi sont-ils là ?
Quelques éléments assez déroutants se mêlent à la progression du récit. Une silhouette de joueur de flûte ou de saltimbanque apparaît, comme si elle incarnait le récit du narrateur omniscient. Ou une vieille calèche apparaît sur le parking de l’hôtel au milieu des bolides modernes. Ainsi, le monde que crée Marcel van Eeden est à la croisée de la réalité et de la fiction. Il réinvente un univers à partir de sources objectives datant d’avant 1965, mais il semble se les réapproprier et les déformer, pour finalement faire advenir un monde nouveau.
Le thème de la mort, quant à lui, est omniprésent. Armes à feu, attaque à main armée, bombes, attentat… Des explosions de couleurs sautent alors aux yeux du spectateur et hachent la tonalité jusque-là noir et blanc du récit.
L’exposition «The Hotel» a également l’originalité de présenter l’installation The Lobby, reconstituant ainsi le hall de l’hôtel représenté dans les dessins de Marcel van Eeden.
Ambiance feutrée, lumière tamisée, musique piano jazz dilettante… Nous retrouvons dans le hall les tables basses, la plante et le comptoir de la réception. Les murs sombres sont jalonnés de peintures abstraites semblables à celles qui symbolisent le moment de l’explosion dans la trame du récit.
«The Hotel» se déploie finalement sur trois dimensions. Une dimension passée, où des événements réels servent de matériau à l’artiste. Une dimension créative et picturale reproduisant certains éléments de ce passé, afin de produire un univers artistique autonome. Et une dimension architecturale enfin, que le spectateur peut lui-même investir et expérimenter avec l’installation The Lobby.