L’Espace 315 est plongé dans le noir, et file, tel un tapis volant, par les sentiers d’une forêt domaniale. La pièce tremble d’un sourd grondement, ponctué par le passage régulier d’un bruissement de volatiles indéterminés. Au milieu de la salle, sol et murs gris, émerge, et s’y fond, une structure métallique de la même teinte. Une forme étrange, placée dans la ligne de mire du travelling avant, qui s’enfonce indéfiniment dans les sous-bois, et tournée vers le ciel: il s’agit d’une réplique réduite de l’antenne Horn, qui capta pour la première fois le bruit fossile du big bang, dans les années soixante.
L’installation renverse le dispositif d’origine: elle fait de l’antenne non plus un capteur mais un émetteur, un canon dont les projectiles seraient cette nuée noire qui envahit l’écran, toutes les demi-minutes, et file comme un essaim dévastateur dans la trouée ensoleillée du sentier, puis se disperse, se volatilise comme par enchantement.
Une lueur éclaire la cabine de l’antenne, laissant à penser qu’un pilote est aux commandes de l’engin et en maîtrise l’effet diabolique. L’esthétique et les matériaux des gros pavillons de bois qui diffusent ces sons inquiétants et non identifiés évoquent un appareillage acoustique du XIXe siècle. Une antenne de Telsa, sphère fichée sur un mât, tout en cuivre, et cette petite peinture à l’huile, bien léchée, qui figure une aurore boréale sur un lac de montagne, renvoient à l’imagerie désuète des vieux manuels de vulgarisation scientifique, ou d’un roman de Jules Vernes.
Tous ces éléments hétérogènes, sculptures et tableau, ready-made ou fonctionnels, vidéo et son, tiennent ensemble comme aimantés dans un faisceau d’ondes fantasmagoriques, de références scientifiques frôlant l’occulte, englués dans un scénario qui n’offre aucun dénouement à cette menace sans cesse répétée, qui chaque fois s’évanouit dans une fuite en avant qui donne une profondeur insondable à l’installation.
Cette inquiétante étrangeté est curieusement familière. Elle irrigue toute l’œuvre de Laurent Grasso. Que l’on se souvienne de ce nuage sans origine qui glissait inéluctablement dans les rues de Paris (Projection, 2005), des esprits planant au-dessus de Hong Kong (Radio Ghost, 2004), ou de la forêt d’antennes mystérieuses récemment installée au Palais de Tokyo (Haarp, 2009). Elle ne vaut pas pour elle-même, mais pour la situation fictionnelle et énigmatique, voire déconcertante, qu’elle engendre: elle est une force centripète qui soude les composants de l’œuvre, en fusionne les temporalités et en lamine toute signification, laissant le spectateur dans une incertitude salutaire.
Horn Perspective, installation produite dans le cadre du Prix Marcel Duchamp, dont l’artiste est le lauréat 2008, en offre une nouvelle expérience.
Laurent Grasso
— The Horn Perspective, 2008. Installation.
Publication
— Laurent Grasso, Livre numéro 18, Ed. Centre Pompidou, collection 315, Paris, 2009.