Christian Hidaka
The Fool
L’artiste mélange ses fantasmes à la réalité, son désir mimétique fait de lui un imitateur qui finit par trouver son propre langage. Aussi général soit-il, cet état de fait s’applique particulièrement bien au travail et à la personne de Christian Hidaka.
Ce schéma biographique hérité de la Renaissance semble important pour introduire une exposition construite autour du legs de Picasso à des générations de peintres; un legs jugé encombrant par des artistes qui ne savent souvent trop qu’en faire. Picasso aura certes transmis une mythologie personnelle qui serait exclusive et inassimilable si elle n’était basée sur un pluriel triomphant dont témoigne l’hétérogénéité de son œuvre.
Aujourd’hui, ce foisonnement d’identités est plus que jamais indispensable à la réinvention d’une vision tout comme à la réinvention de soi. Les peintures de Christian Hidaka éclairent la perception que nous avons de nous-mêmes, quand celle-ci peine à cerner nos émotions. Ses œuvres nous rapprochent du rêve et nous rendent réceptifs à d’étranges tensions latentes. Nul étonnement donc si, parmi les personnages et créatures polymorphes qui peuplent les espaces inventés par Christian Hidaka, nous retrouvons l’Arlequin, célèbre figure de la Commedia dell’Arte, qui intéressa Picasso tout au long de sa vie.
Cette iconographie s’impose le plus visiblement dans Desert Stage (2015), le tableau clé de l’exposition, dont le titre pourrait se traduire par «scène de théâtre dans le désert» (à moins qu’il ne faille comprendre «décor de théâtre évoquant le désert»). L’Arlequin qui y figure évoque le célèbre rideau de scène Parade réalisé par Picasso en 1917. A y regarder de près, d’autres détails confirment cette relation comme la colonne qui repose sur le pavement en damier ou le fragment de paysage circonscrit par un panneau biseauté; reprise des montagnes et du ciel bleu qui, chez Picasso, se découpent entre les pans d’un ultime rideau de velours rouge et les ruines d’un paysage romantique. En revanche, l’acrobate, le cheval ailé et le paysage bucolique, tous ont disparus. La table et les convives se sont également volatilisés laissant Arlequin en tête à tête avec une jeune fille nubile tirée d’un tableau de Balthus (Nu devant le miroir, 1955).
Cette curieuse association semble animée par un jeu d’équivalence entre la versatilité d’Arlequin et l’adolescente qui ne projette rien de définitif et qui le laisse sentir par son attitude (elle s’évente tranquillement la nuque libérée du poids de son opulente chevelure), tandis qu’Arlequin se risque à exécuter la danse raffinée et un brin ridicule de l’oiseau qui expose son plumage à la femelle lors de la parade nuptiale. Ces deux figures seraient la parfaite métaphore de l’identité insaisissable à travers le regard amoureux (comme possibilité d’approcher l’autre sans figer son image) et l’affirmation de plusieurs styles distincts.
Certains peintres s’entourent de photographies, Christian Hidaka préfère de loin les éviter, au profit de décors et d’une réalité théâtralisée, un peu à la manière d’Alain Resnais (dans Aimer, boire et chanter (2014) par exemple). Dans l’œuvre du réalisateur français existe une éthique, au sens large du mot, qui consiste à valoriser les particularités et les rythmes de chacun au sein d’un groupe d’individus vivants dans un système clos. Jamais aucune image ne les contient tous. Voilà sans doute pourquoi l’exposition comporte des portraits isolés, se présentant au monde avant de rejoindre ces espaces du vivre ensemble conçus à leur mesure.
Cécilia Becanovic