Roxane Borujerdi
Tête verte, dos rouge
Comment concevoir une image qui concilie observation naturaliste et dessin d’imagination sans se confondre avec une planche zoologique ni avec une composition arbitraire? Ou encore: comment abstraire le vert et le rouge tout en maintenant le souvenir d’une tête et d’un dos? Pour sa seconde exposition personnelle dans la galerie, Roxane Borujerdi chemine à la frontière où l’abstraction flirte avec le réalisme.
Un ensemble d’Å“uvres récentes saturent l’espace et les murs, à l’image d’une nature qu’on dit phobique du vide — dans le contexte, la jungle brésilienne offrirait une comparaison idoine. A la faveur d’une résidence au Jardin Botanique de Rio de Janeiro dont elle revient tout juste, Roxane Borujerdi confie avoir mis sa «pratique du dessin abstrait à l’épreuve de la nature».
A l’observation patiente des oiseaux, offrant les circonstances pour d’intenses méditations, a succédé une transcription délibérément volage du plumage des animaux: si les dessins sont traversés par l’expérience de terrain, ils n’en sont pas pour autant des peintures sur le motif. Le filtre de la sensibilité de l’artiste a trié le fondamental de l’accessoire, pour restituer une couleur animée d’un souffle de vie. Les dessins prêtent allégeance à la nature-artiste et lui reconnaissent quelque chose de magique, une puissance d’émotion à transmettre.
Souvent, dans l’Å“uvre de Roxane Borujerdi, les formes se gonflent ou s’épanchent, les motifs se reconfigurent du plan à l’espace, à l’instar de la divinité Thétis ou — au choix du registre — des personnages de Barbapapa. A partir d’un corpus élémentaire de signes et de couleurs, les formes revêtent différents états et sont constamment redistribuées. La translation des échelles et de l’espace établit le concept d’image comme donnée transférable, à même de soutenir sa propre déformation sans corrompre son sens.
Le réagencement est également l’une des clés de l’Å“uvre. Ici, un Cubo, un cube de cubes, lointain cousin d’un célèbre casse-tête, offre une multitude de combinaisons possibles. Le dégradé de couleurs suggérerait éventuellement un protocole, mais la modularité prévaut et soustrait l’Å“uvre à la permanence d’un état figé. Par jeu et commodité, l’agencement se veut aussi libre et fluide que possible.
De son propre aveu, l’artiste «explore l’intersection du rationalisme mathématique et de l’organicisme». En funambule, son Å“uvre progresse sur le fil tendu entre ordre géométrique — pure invention de l’esprit humain —, et régime organique où le trait et la coupe à main levée provoquent un «flou de bougé» naturellement ondulé. La rigueur se laisse distraire, au point que le style pourrait être qualifié par des oxymores du type «géométrie inexacte» ou «spontanéité contrôlée».
Il n’y aurait qu’un pas vers le néo-concrétisme brésilien, qui préférait la sensibilité de l’«œil-corps» à l’exactitude de l’«œil-machine». Pourtant, Roxane Borujerdi ne s’est jamais réclamée d’aucune filiation. Sa récente rencontre avec le Brésil a opéré moins comme catalyseur qu’opération-test, lui permettant de vérifier ses intuitions à l’aune des maîtres du néo-concrétisme, sans infléchir pour autant ses propres manières.
A mesure que l’exposition s’éloigne, elle nous laisse, entre autres, avec cette question pénétrante: cette forme-ci, est-ce du vert et du rouge, ou bien une tête et un dos?