«L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu’à eux-mêmes. Ils ne font point appel à un ‘ailleurs’ (la personnalité de l’artiste, sa biographie, l’histoire de l’art, par exemple). Ils n’offrent point d’échappatoire, car la surface, par les ruptures de formes et de couleurs qui y sont opérées, interdit les projections mentales ou les divagations oniriques du spectateur. La peinture est un fait en soi et c’est sur son terrain que l’on doit poser les problèmes» : voilà comment se présente le projet artistique du mouvement Supports-Surface dès 1969.
On pourrait tout à fait visiter la dernière exposition de Claude Viallat avec cette citation dans la tête, puisque ce que l’on y voit c’est avant tout de la matière et des couleurs sur une surface brute, celle de bâches militaires récupérées.
En utilisant uniquement des bâches militaires, Viallat affirme que tout peut être le support d’une expression picturale. Il va même plus loin, puisque la texture, l’apparence, les aspérités de la bâche deviennent indispensables à la peinture et au geste de l’artiste.
La bâche en elle-même est un objet artistique: elle est exposée sur un mur comme on expose des toiles ou des photographies. Ses attaches, sangles, œillets et autres ornements sont montrés tels quels, sans traitement préalable. On pourrait presque dire que le volume de la bâche accouplé aux formes ovales colorées peintes sur sa surface contribuent à créer des sortes de sculptures murales.
Nous sommes bien ici face à des supports et des surfaces : la toile est abandonnée au profit d’une bâche sans châssis, mais qui est néanmoins en attente de surfaces colorées. C’est la précarité de l’œuvre d’art qui est ici mise en avant, son instabilité.
S’il n’y a pas de support noble (comme la toile légendaire), tout peut être le support d’une œuvre d’art, des murs des grottes aux fenêtres de Pierre Buraglio, autre pilier du mouvement.
Ce qui intéresse Viallat consiste dans le geste de retrouver la toile et le châssis par des moyens détournés: il cherche toujours à retrouver le «souple» de la toile et le «dur» du châssis afin de donner une dynamique à l’œuvre peinte. Tout est dans cette combinatoire. C’est sans doute pour cela que la bâche est idéale, même s’il on ne peut pas oublier la référence militaire.
On ne peut s’empêcher de penser à l’origine de ces bâches : ont-elles servi ? si oui, dans quelle guerre? Certaines ont des fenêtres et étaient visiblement des tentes qui abritaient des soldats…
Toujours est-il que visiter cette exposition revient à s’interroger sur l’équation fondatrice de toute peinture : matériau brut + mise en forme + peinture.
Claude Viallat
— Sans titre n°015, 2006. Acrylique sur bâche. 180 x 184 cm.
— Sans titre n°018, 2006. Acrylique sur bâche. 182 x 136 cm.
— Sans titre n°020, 2006. Acrylique sur bâche. 180 x 180 cm.
— Sans titre n°029, 2006. Acrylique sur bâche. 116 x 192 cm.
— Sans titre n°223, 2006. Acrylique sur bâche. 191 x 160 cm.