Il y en a un peu trop d’auteurs — cinq en tout — et pas assez d’œuvres pour apprécier réellement leur travail. C’est le vieux dilemme du galeriste, pris entre l’exposition, parfois un peu frustrante, d’un seul artiste, et la tentation d’un thème transversal permettant d’en présenter plusieurs, au risque de frustrer le visiteur.
L’idée de Cadu Costa est charmante, et correspond bien à l’esprit méticuleux et tendre de Georges Perec, mais l’on serait curieux d’en voir un peu plus. Cadu Costa a recensé six mille numéros gagnants de la loterie brésilienne, reporté ces numéros en les perforant sur des dizaines de billets, puis assemblé ces bulletins en rouleau que le visiteur peut faire passer à travers le cylindre d’une boîte à musique, chaque trou déclenchant une note. Avec ironie, cette comptine du hasard et des probabilités s’intitule: L’Hymne des vainqueurs.
Des vainqueurs il est encore question dans les cartes anciennes que Daniel Medina redécoupe avec méthode en lamelles et entremêle avec application. Les vainqueurs d’un autre temps — le Royaume-Uni superposé aux côtes de Charente-maritime —, d’un temps récent — les Etats-Unis sur l’Amérique centrale —, et d’un temps proche — la Chine assise sur le monde.
C’est ici l’apparence naturellement artistique des cartes jaunies, et leur intrication ouvragée, qui sauve in extremis ces œuvres de leur schématisme géopolitique. Ses structures obtenues par l’articulation de triples décimètres en plastique bleuté, chevillés à la manière des Meccano, souffrent précisément de l’inélégance scolaire inhérente aux règles qu’il détourne.
Il y a plus de pataphysique perécienne dans la toise dont Nicolas Paris a tiré un totem malingre, dans son éprouvette contenant un chimiste de papier, ou dans l’ampoule qui renferme un hélico, également en papier, à la manière des miniaturistes enserrant — précautionneux — leurs petits bateaux en bouteille des bouts d’une pince à épiler.
Ignacio Uriarte, pour sa part, concilie avec moins de générosité économie et expansion de l’espace, mais c’est qu’il se penche plus près encore sur l’infraordinaire ou, pour le dire d’un exemple, il observe et restitue les variations infimes d’une tache d’encre bleue sur le papier blanc.
Ignacio Uriarte catalogue le hasard, il décrit l’imperceptible, mais il n’est pas toujours vrai que l’infraordinaire de Perec, ou l’inframince de Duchamp, bref que les petites choses recèlent en leurs inaperçus les germes des grandes.
La vidéo Fish Project de Charwei Tsai, peut bien dénoncer les tendances hégémoniques de la Chine sur sa Chine à elle, en l’occurrence Taiwan, voir un poisson hors de l’eau se débattre mollement contre les coups de marqueurs qui imposent à ses écailles la mention idéogrammatique «One China» est tout de même une expérience moins fascinante que celle de la corrida, une vision moins pathétique que celle du cheval à l’agonie telle que Steve Mac Queen l’a filmée (Running Thunder, 2007).
Avec sa tentative d’épuisement, Perec a rappelé que ce qui véritablement importe dans une œuvre est le regard que l’on pose sur les choses, plus que ces choses elles-mêmes, et la façon dont on les restitue. Cette tentative d’expansion rappelle aussi que, pour immobiles ou fugaces qu’elles apparaissent, les choses proposent aux images qu’on en fait les formes qui sont les leurs, et que c’est le «vouloir» de ces formes, autant que leur valeur, qui suscite, chez l’artiste, la volonté de les évoquer, les formes de leur représentation.