Avec seize danseurs, Rachid Ouramdane règle l’impressionnante horlogerie d’un déploiement où foisonnent motifs et combinaisons, dans l’accélération et la déferlante. Au début, un seul danseur. Des gestes rares. Peu à peu, un ébranlement de sa verticale. Progressivement, une expansion de son être, démultiplication de ses gestes, amplification de ses impulsions. Quand l’effectif géant de la pièce Tenir le temps aura pris possession du plateau, on lui trouvera cette logique du solo qui l’initie: des mouvements s’accumulent, des combinaisons se complexifient, un étourdissement gagne, dans l’accélération et la déferlante.
La saison dernière, le Théâtre de la Ville montrait Polices!, autre pièce du même chorégraphe, Rachid Ouramdane. Fidèle à ses options, il y mettait en scène des corps tendus par les violences de leurs rapports à l’histoire. On y trouvait aussi un très grand nombre d’amateurs, avec un sens très politique d’une foule agissante. Tenir le temps relève un autre défi, plus strictement esthétique. Rachid Ouramdane s’y confronte à de purs enjeux chorégraphiques, à des combinatoires formelles de grande dimension. Les danseurs y sont experts, affrontant la vitesse et l’épuisement. Tous leurs déplacements sont écrits. Cela même quand nombre de leurs déploiements donnent l’illusion de se répandre en brumes, en vagues et nuées, peu contrôlées.
Bien souvent en revanche, les motifs, foisonnants, offrent une lecture très claire de lignes, diagonales, parallèles, colimaçons, étoilements, dans des jeux de séries, d’intercalements, d’inversions et dans des déclinaisons de solos, duos, trios, ensembles. Or, même dans le fil de ces tableaux, tout se déroule si vite, sur le qui-vive, que l’œil rassuré par la reconnaissance d’une figure nette, doute de l’avoir vue, car très vite gommée. Ainsi Tenir le temps ouvre l’espace vertigineux du fourmillement hétérogène, plein d’imprévus, qui fait pourtant la cohésion de nos vies sociales, méritant d’être vécues.