En Irak, les victimes civiles, notamment des enfants, sont de plus en plus nombreuses. L’horreur s’ajoute à de trop longues années de tyrannie. Un tel contexte vient parfois s’immiscer entre les mots, comme un révélateur implacable. Ceux, par exemple, du responsable de tel grand site internet pour qui «la guerre en Irak ressuscite les douloureux souvenirs de la descente aux enfers dans laquelle le marché de l’art avait été entraîné en 1991 avec la première guerre du Golf. Mais, assure-t-il, désormais «le marché de l’art ne sera plus victime de guerre». Conclusion : achetez sans crainte. Chacun ses souvenirs, chacun ses victimes, chacun ses mots.
Plusieurs milliers de tableaux, dessins, photographies, sculptures, et surtout de livres : «Il y avait ici un refuge contre tout le machinal du monde» a élégamment dit Julien Gracq à propos de l’atelier d’André Breton qui est aujourd’hui en train d’être dispersé. «Dispersé» : terme de salles de ventes, mot aux résonances redoutables quand il suggère, comme ici, qu’un pan immense de la culture française s’écroule après vingt ans d’indifférence des pouvoirs publics.
A cet égard, les positions divergent. Certains «protestent contre le dépeçage marchand de cette mémoire» ; d’autres inventent une sorte de cohérence entre la situation actuelle et André Breton lui-même qui «ne serait pas forcément d’accord avec ses propres adeptes». Une façon d’exonérer les responsabilités.
Cet ensemble, dont l’intérêt majeur repose sur son regroupement, sur les rapprochements singuliers qu’il opère, est abandonné à la spéculation. Ce qui avec lui disparaît pour toujours de France et de la culture mondiale, c’est le cœur historique du Surréalisme; c’est le centre vivant d’une littérature, d’un art et d’une approche rebelles du monde ; c’est une forme de résistance au règne du «machinal» issu d’une guerre atroce et imbécile ; c’est un témoignage en acte de la vitalité de l’art ; c’est un acquis inestimable et, précisément, hors de prix; c’est une part d’intelligence.
Cela à la veille de l’ouverture des négociations entre l’Union européenne et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui risque de conduire à la libéralisation, c’est-à -dire à la disparition, de la plupart des services publics, notamment la santé, l’enseignement et la culture.
D’indifférence en indifférence, de renoncement en renoncement, petits et grands, c’est la notion de «diversité culturelle» qui se vide. Sourdement, mais inéluctablement.
André Rouillé
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James Thornhill, Please God Make Tomorrow Better, 2002. Proposition pour un tableau de néon dans un environnement rural. Néons, lettres en bois peintes en blanc. 27 x 18 m. Photo : paris-art.com. Courtesy Galerie Jennifer Flay.
Le titre de l’éditorial renvoie à «André Breton : te brader, non», la contribution en forme d’anagramme de Didier Daeninckx au Comité Breton.
À lire, la pétition contre la dispersion de la collection privée d’André Breton.