DANSE | SPECTACLE

Festival de Marseille | Botero en Orient

03 Juil - 04 Juil 2019

Plutôt que de corps 'gros', le chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou parle de corps 'volumétriques'. Un terme qui permet de mieux saisir le rapport du corps à la représentation. Et de la peinture à la scène, avec la pièce Botero en Orient, il interroge le poids des différents regards sur la chair.

Interrogé quant à son « intérêt à parler tout le temps et de [son] corps, et du corps des autres », le chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou (Cie Anania Danses) répond qu’il n’a pas tant d’ ‘intérêt’ que des ‘questions’ à ce sujet. Avant d’ajouter que sa mère est très ronde, et très bien comme telle, mais qu’à son arrivée en Europe, il y a rencontré un autre rapport au corps. Au poids, pour être exact. Car la pièce Botero en Orient (2019) tourne effectivement autour de cette perception. Référence au peintre et sculpteur colombien Fernando Botero (né en 1932), célèbre pour ses personnages aux formes plus qu’opulentes, Botero en Orient mobilise quatre danseurs. À savoir Taoufiq Izeddiou lui-même, Essiane Kaïsha, Karine Girard, et Marouane Mezouar. Autant de corps massifs, ou ‘volumétriques’ pour reprendre le terme de Taoufiq Izeddiou, à l’écart des standards de la danse classique, voire contemporaine.

Botero en Orient de Taoufiq Izeddiou : de l’Orient à l’Occident, un regard sur les corps

Sur une composition sonore de Saïd Aït El Moumen et Taoufiq Izeddiou, ainsi que le chant de Fatima Ezzahra Nadifi, les danseurs évoluent dans un décor sobre. Des socles en bois très clair sont présents. De hauteurs variables, leur massivité monolithique rappelle quelque chose du corps humain. Sorte de version ultra-minimaliste d’un monsieur (ou madame) bâton. Les danseurs s’en empare, les transportent, les manipulent. Les allongent pour mieux se hisser dessus. Les empilent. Les font tournoyer. Tour-à-tour cercueils quand portés à l’horizontale, ou charge quand portée à l’épaule. Totems lorsqu’empilés en hauteur, bancs lorsqu’allongés… La danse s’augmente de ces sortes de prothèses amovibles. Diversement vêtus au fil de la pièce, les interprètes ne dissimulent pas non plus leurs rondeurs. La chair vibre quand la voix porte. Et le corps se fait aussi politique, lorsque se devine l’évocation de la prison d’Abou Ghraib, avec son système de moqueries et humiliations.

Le corps esthétique, le corps politique, le corps chorégraphique : interroger les normes

Avec Botero en Orient, il y a une matérialité de la chair. Dans sa factualité. À l’écart des idéaux rigoristes de la chirurgie esthétique, la pièce montre d’autres dynamiques. Les corps bougent à l’aune de leur réalité. Le poids des danseurs influence les gestes, les vitesses, mais aussi les portés. Le rapport à la charge, au sens propre comme figuré, affleure. Se démultiplie. Dans une démarche chaloupée lorsque les porteurs transportent lentement les socles d’un point de la scène à un autre. Ou dans une sensation de claustration lorsque tous les socles convergent pour entourer l’un des danseurs. Entre enfermement et encadrement : le corps s’expose. Rentrer dans le cadre pour être jugé comme une œuvre de Fernando Botero ? Sortir du cadre pour cesser de subir les critiques, les humiliations ? De l’esthétique au politique, Botero en Orient opte pour l’écart, comme pour mieux interroger les standards.

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