Une danseuse virant comédienne, on avait déjà vu. Quelques exemples pris en France : Janine Charrat, Mia Slavenska, Yvette Chauviré, Leslie Caron et autres Zizi Jeanmaire, sans oublier Brigitte Bardot, Mathilda May, Marie-Claude Pietragalla…
Cette reconversion n’en est pas une dans la mesure où le théâtre fait partie depuis toujours de la formation des danseurs (Robert Manuel, si nos souvenirs sont exacts, a professé à l’école de danse de l’Opéra de Paris). De même, la danse est enseignée dans les conservatoires d’art dramatique qui se respectent (à Paris où Michèle Nadal, par exemple, a longtemps exercé). On sait aussi que les arts de la scène exigent un minimum d’expressivité — c’est même là un critère stylistique qui permet d’évaluer la qualité d’une interprétation.
Le dernier film de Françoise Ha Van sur Sylvie Guillem décrit cette étape dans la carrière de la seule diva qui nous reste, laquelle, après avoir découvert le micro HF à la Madonna dans le duo-spectacle de Tanztheater ou le sprechgesang post-kathak dans Sacred Monsters d’Akram Khan, semble prendre goût à la chose au point de collaborer avec le metteur en scène de théâtre Robert Lepage et le chorégraphe néo-classique Russell Maliphant à une expérience trans-genres sur le thème… du chevalier d’Éon.
Malgré quelques défauts mineurs qui ne viennent pas du film lui-même mais de son contenu (impression de tourisme culturel, jeu de mots discutables du titre Eonnagata, temps morts plombant les répétitions dans la version longue du film, passage du Boléro hors sujet, finale faible : le beau pas de deux Guillem-Maliphant eût été parfait, selon nous !), la réalisation est d’une maîtrise remarquable, le montage d’une précision redoutable, le mixage audacieux, la production, qui a duré pratiquement deux ans, d’une rare qualité.
Françoise Ha Van s’autorise encore quelques coquetteries visuelles dont elle a le secret. On garde en mémoire et en vrac le très gros plan sur les pieds de la danseuse, l’alternance arbitraire du noir et blanc et de la couleur, l’effacement progressif de la piste sonore de Tchaïkovski par une musique contemporaine dans l’extraordinaire pas de deux Guillem-Le Riche du Lac donné au Japon, l’insistance sur le grain du super huit dans la croisière vénitienne, les vues matiéristes absolument gratuites, purement esthétiques, sans justification narrative ou illustrative (sable, glace, eau, arbres, etc.), les tics « Nouvelle Vague » durant l’entretien avec le jardinier du château de Versailles : musique baroqueuse, perche dans le champ, velléité de plans-séquences…
Le tout est fondu, collé (et copié nulle part), structuré par un montage savant. Le film, qui est avant tout un film de femmes (réalisatrice, productrices, vedette) relève du travail de broderie autant que du travail d’orfèvre. Sous la forme d’un reportage impressionniste, il est, on peut dire, à l’image de la danseuse : photogénique, fluide, chic. Parfois aussi un peu agaçant, mais toujours attachant. La réalisatrice a trouvé son style.
— Françoise Ha Van, Guillem sur le fil (2009), HD, Dolby E, 90 min ou 52 min. Production mixte. Sortie en DVD chez Deutsche Grammophon le 19 octobre 2009.