ART | INTERVIEW

Sylvie Fanchon

Sylvie Fanchon s’inspire de tout ce qu’elle voit et simplifie à l’extrême les images modèles qu’elle compose – jusqu’à frôler l’abstraction. Sa peinture, caractérisée par une grande économie de moyens, est généreuse car elle invite le visiteur à s’approprier ses motifs, libérés de leur signification initiale. Une louange à la subjectivité du regardeur...

Bettie Nin. Tes toiles proposent toujours un même univers constitué d’une forme généralement centrale sur un aplat de couleur. Comment est né cet univers si personnel?
Sylvie Fanchon. Quand tu parles d’un univers personnel, je suppose que tu fais référence au «style». Pour moi le style est une marque de l’esprit avant d’être une marque de fabrique. Il est le résultat d’un certain nombre de contraintes que j’ai définies il y a déjà longtemps et que je résume par une formule lapidaire: «dégraisser le travail», en l’occurrence la peinture.
Tout ce qui a trait au métier du peintre – à savoir la touche, le geste, la transparence – est éliminé. Il s’agit d’aller à l’extrême limite du dépouillement et de travailler avec ce qui reste. Ce traitement conditionne le «comment» peindre. Ce que tu appelles «aplat de couleur» est un «faux aplat». Le tableau est peint et la présence du corps dans ce dépôt de matière est perceptible, mais n’indique rien, juste de l’attention, du soin, et une matérialisation non mécanique.
D’autre part je m’intéresse aux stratégies d’occupation de la surface. Ces stratégies ont à voir avec la structure du tableau: c’est la composition.

Parle-nous de tes motifs. Ont-ils à voir avec le monde d’aujourd’hui? Sont-ils inspirés par des images de synthèses (schémas scientifiques, publicité, graphisme, BD etc.)? Comment et d’où naissent-ils?

Sylvie Fanchon. Le monde est plein d’images; je me sers. J’extrais, je simplifie, de façon à obtenir une forme générique. La source importe peu, elle est à la portée de tout un chacun. BD, schémas, plans, images numériques, dessins animés… Ce sont des images déjà synthétiques que je synthétise encore.

Quand on regarde tes œuvres, l’imagination se met en branle et ne s’arrête plus. Le regardeur y projette ses propres visions et une infinité de chemins se dessinent alors. Parce que la simplicité de tes compositions laisse la part belle à l’interprétation. En es-tu consciente et comment gères-tu cela?
Sylvie Fanchon. Ce qui préside à l’imagination et l’interprétation est la perception. La perception est une construction fondée sur l’histoire de chacun, son appartenance à une culture, une langue, une religion, etc. Mon travail sur la forme vient d’une interrogation sur la véracité des perceptions que nous avons du monde. Cette interrogation remonte à mon enfance, époque où je doutais de l’image que me renvoyait le miroir.
Dans les années 1970, je lisais Aldous Huxley (Les portes de la perception), Carlos Castaneda, Philip Kindred Dick, Lovecraft etc. Je m’intéressais également au travail d’Henri Michaux, qui dessinait dans un état de perception altérée. Le LSD était alors expérimenté sous contrôle médical afin d’étudier les hallucinations qu’il occasionnait. Ces lectures et expériences sont à l’origine de mon travail.

Le vide prend paradoxalement une place très importante dans tes images. Comment composes-tu avec cela?
Sylvie Fanchon. Le vide favorise la contemplation. J’ai lu il y a longtemps Les propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère, un moine japonais du XVIe siècle. Il y est beaucoup question du vide. Je regardais la peinture des moines zen japonais, tout autant que les expressionnistes abstraits américains. Aujourd’hui le vide est une image monochrome; monochrome qui a une longue histoire. Je la commente et la conteste, en y ajoutant un cadre par exemple.

Qu’apporte à tes images toute cette économie de moyens et de couleurs?

Sylvie Fanchon. C’est une position politique et philosophique. Travailler avec peu est un choix dans une société du beaucoup, du trop, du puissant.

Tes peintures sont-elles des figurations ou des abstractions? A moins qu’elles ne dépassent justement la vieille dichotomie entre ces deux visions du monde.

Sylvie Fanchon. Je ne me pose plus la question. A mon avis, elle est dépassée.
Lorsque j’étais étudiante, «l’abstraction» était de mise. Et pourtant, je m’intéressais aussi bien à Ellsworth Kelly et Blinky Palermo, qu’à Alex Katz et Andy Warhol, sans hiérarchie.
Dans mon travail, ce qui m’importe c’est la prise en compte du tableau comme surface, non comme fenêtre ouverte sur le monde. Les formes sont issues des images que notre société produit. Ce sont des figures qui ont trait au réel; un réel schématisé, aplati.

Tu as dit plus haut «vouloir vérifier la véracité des perceptions que nous avons du monde». Peux tu nous en dire un peu plus…? Je pense notamment aux «doubles figures» présentes dans certains de tes tableaux?
Sylvie Fanchon. Tout le monde connaît ce type d’images «canard lapin» que Wittgenstein a appelé des «aspects». Elles font l’objet de tests de psychologie et de jeux d’illusions d’optique. Il est question de la perception d’une image double dans laquelle il est impossible de trancher en faveur de l’une ou de l’autre.
Je ne vérifierai jamais rien. C’est plutôt un questionnement sur la validité, sur la nature de nos perceptions qui a cours dans ces tableaux. Mais ils sont aussi des vanités…

Lien
Exposition de Sylvie Fanchon: «SF», du 6 avril au 28 mai 2012 au Crac Languedoc-Roussillon (Sète).

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