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Sylvain Decure

Sylvain Decure, le circassien, ancien membre du collectif AOC, joue à l’équilibriste, sur le fil entre arts du cirque, théâtre et danse. Son solo, Demain je ne sais plus rien, est un premier pas dans l’écriture. Une sorte de tragi-comédie sur l’isolement, un appel au secours…

Demain je ne sais plus rien, présentée au festival Les Inaccoutumés du 23 au 24 novembre 2010, est ta première pièce. Etant donné ton parcours de circassien – tu es notamment spécialisé en trampoline − on peut se demander en quoi cette création va relever des arts du cirque?
Sylvain Decure. Je ne crois pas que la pièce ait une forme déterminée. Elle ne s’inscrit pas dans une catégorie précise. C’est un objet assez atypique!

Plus simplement, est-ce qu’il va y avoir un aspect acrobatique dans le solo?
Sylvain Decure. Non, pas vraiment… La pièce se passe dans une boite, qui mesure 60 cm de large et 2m20 de hauteur, sur une ouverture de 80 cm. C’est un espace très réduit, dans lequel j’évolue. Il arrive que je m’accroche aux parois, que je me renverse. Il y a une dimension physique importante, incontestablement, mais je ne travaille pas l’équilibre et l’acrobatie comme je le ferais pour un spectacle de cirque.

Cette création est un peu sous le haut patronage du metteur-en-scène Christophe Huysman. Pourquoi l’avoir associé à l’écriture de la pièce? En quoi te sens-tu proche de lui?

Sylvain Decure. Je travaille depuis 2001 comme interprète dans sa compagnie, Les Hommes penchés. On s’est rencontré sur une pièce de cirque, Espèces, et on est très vite devenu amis. On se complète bien dans le travail, la communication entre nous est facile, directe. Au fur et à mesure de nos collaborations, il a réussi à m’emmener dans des endroits où je ne pensais pas aller, à me révéler à moi-même en quelque sorte. Sans lui je n’aurais jamais osé me lancer dans cette création en solo. Il m’a donné un cadre pour le faire, la compagnie, et surtout l’envie et le courage!

Comment est-il intervenu dans la construction du spectacle?
Sylvain Decure. Il y a d’abord eu une phase de dialogue, où il m’a questionné sur ce que je voulais dire, sur ce que le solo représentait pour moi. Une première phase où j’apportais de la matière, j’ouvrais des pistes. Et puis, il a commencé à diriger le travail de l’extérieur. A un certain moment, j’ai senti que je n’avais plus assez de recul sur ce que je faisais, que son intervention m’était nécessaire, que j’avais besoin d’être guidé.

Demain je ne sais plus rien est un solo. Est-ce qu’on peut dire qu’il s’agit d’une sorte d’autoportrait?
Sylvain Decure. Je parle plus volontiers de «personnage». Ce n’est pas une pièce autobiographique mais en même temps, il y a une partie de moi qui s’expose. Dans quelle proportion exacte, ça, je l’ignore…

Que fait cet homme, prisonnier dans un espace restreint et fermé? Qui est-il?
Sylvain Decure. Demain je ne sais plus rien est une pièce sur l’isolement. Elle parle d’un individu qui est enfermé dans une boite et n’a pas les codes du monde actuel. On lui propose des situations auxquelles il doit répondre, ce qu’il fait de manière illogique, irréfléchie. Par exemple, si on lui fait peur, et qu’il pense être en danger, il va répondre spontanément par l’agressivité, en faisant la guerre!

L’homme est un marginal…
Sylvain Decure. Oui, il échappe à la norme, il ne parvient pas à s’adapter à la norme qu’on lui impose. La boite est remplie d’objets du quotidien, ou qui appartiennent à son passé, comme les sacs en plastique par exemple. Ce sont des objets banals, les « meilleurs amis de l’homme », que chacun de nous manipule tous les jours. Mais ils véhiculent également une certaine violence. Ils envahissent notre espace matériel, ils nous écrasent de leur masse. On peut s’étouffer avec. L’isolement, par définition, est «l’état d’un homme qui ne peut pas être secouru ». La pièce est un appel au secours.

Que représente cette boite?
Sylvain Decure. La boite est une façon de matérialiser les frontières, les limites que chacun s’impose, n’ose pas dépasser par peur. Ou que les autres, la société, nous infligent. C’est un espace qui enferme et qui protège à la fois. Quand je suis à l’intérieur de cette boite, je suis vraiment coupé du monde. Je n’entends rien, elle est isolée d’un point de vue phonique. Je ne vois rien non plus car je suis aveuglé par un projecteur. C’est un univers opaque, hermétique.

Le titre, Demain je ne sais plus rien, évoque à une perte de mémoire, mais dans le futur…
Sylvain Decure. L’oubli est la seule stratégie que ce personnage a trouvée pour exister: désapprendre aujourd’hui pour accéder à demain. Chaque jour doit être une naissance. Il vit uniquement dans le présent.

Y a-t-il une portée politique? Un rapport à une certaine actualité?

Sylvain Decure. Oui, sûrement… Mais je laisse au spectateur la liberté de l’interpréter ou non comme tel…

Dans l’avenir, penses-tu poursuivre un travail d’écriture? Quel est ton rapport aujourd’hui avec le monde du cirque?

Sylvain Decure. Ecrire cette première pièce m’a donné envie d’être auteur, évidemment, mais je ne sais pas encore si cette voie est la mienne, si j’ai vraiment quelque chose à dire. J’attends les premiers retours de la pièce, la tournée…
Je suis dans une période de changement. J’aime faire l’expérience de la scène en tant que comédien. Mais le cirque est un monde difficile à quitter, un monde plus simple et très chouette. Cela dépend aussi des opportunités qui s’offriront à moi… 

— Création en collaboration avec Christophe Huysman
— Durée: 60 minutes
— De et avec: Sylvain Decure
— Regard extérieur/intérieur: Christophe Huysman
— Régie plateau et complicité artistique: Cyrille Musy
— Création lumières et régie générale: Emma Juliard
— Création sonore: Bertrand Landhauser

Prochaines représentations
23-24 novembre 2010 (à 20h30), Ménagerie de verre, Festival Les Inaccoutumés, Demain, je ne sais plus rien

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