«Le silence, disent les règles monastiques, est une grande cérémonie. Dieu arrive dans l’âme qui fait régner en elle le silence, mais il rend muet qui se dissipe en bavardage et ne pénètre pas en qui s’enferme et se bloque dans le mutisme».
En cherchant l’occurrence «Sylphide» dans le dictionnaire des symboles et en me demandant ce qui n’allait pas dans cette pièce, je rencontre cette phrase qui fait écho à mon ressenti.
L’idée première de la pièce était très belle: glisser son corps dans un coussin SM, pratiquer l’expérience de la mise sous vide et de son gonflement, tenter de crapahuter dans l’espace avec un corps rectangulaire dépourvu d’articulation.
Les premiers instants de Sylphides sont intenses et impeccables, prometteurs par l’intensité de leur «less is more». Mais «less tomber» dans la durée le soufflet retombe.
Le «soufflet» est justement la clé de l’articulation dramaturgique.
La pièce se structure autour des possibilités qu’offrent ces trois rectangles en latex qu’ont intégrés les danseurs et qu’une dame en vêtements indigo, Marlene Monteiro Freitas, sévère comme l’ange de la mort, gonfle ou dégonfle.
Dans le rôle de maîtresse domina, Marlene cryonise tour à tour chaque danseurs. Les reflets de la matière chatoient au rythme des respirations. Un tuba miniature de la taille d’une cigarette relie les danseurs au monde extérieur par un mince filet d’air. Sous leur papier d’emballage, les danseurs émettent les vagues nécessaires à leur souffle.
Dans la lenteur, ils semblent décomposer les bandas du pranayama — ces légères contractions du corps qui permettent de développer la conscience des muscles profonds autour de la colonne vertébrale et d’éveiller ainsi l’énergie des centres endocriniens.
Le souffle — sans doute métonymie des ailes de la Sylphide — élément central de la pièce, se déplace dans différents espaces, contraint le mouvement, infléchit la danse et celui de la non-danse, puis de la danse extatique après la libération des corps en dehors de sa chrysalide SM.
En quoi ces trois interprètes renfermés dans les sacs de latex participent-ils de l’évocation du mythe de la sylphide, de l’archétype de la danseuse éthérée et de la grâce aérienne, reliant le monde des morts et des vivants, des humains et des dieux?
Du point de vue du spectateur, les facultés kinesthésiques du corps placé sous vide ou gonflé à bloc dans un coussin de latex ne semblent pas avoir été exploitées suffisamment. De plus, aucune écoute entre les danseurs ne semble avoir été possible.
Le résultat final pèche par une absence de communication et de présence.
La danseuse en indigo, pourtant libre de ses mouvements, surjoue, manque de naturel et de réceptivité, quand elle manie l’aspirateur et le fait claquer au sol comme un lasso. Son corps est trop tendu pour être crédible.
Lors de l’issue bienheureuse — la libération des corps hors des coussins — les danseurs feignent une danse extatique, une bacchanale sur une musique pop décalée. Leurs articulations sont parfaitement huilées pour interpréter la danse de la transe désarticulée. François Chaignaud laisse une trace de gastéropode en réalisant un grand écart virtuose sur toute une diagonale. Il invente une forme évolutive d’ashtanga yoga d’un type contorsionniste de l’extrême. Lors du passage à la verticalité, ses cheveux voltigent en dessinant des cercles rapides avec la tête dans un lâché impeccable des cervicales. Mais cette chorégraphie spectaculaire mixant gogo dance et illustration des vases antiques ne suffit pas à convaincre: les trois bacchantes discos, prodigieuses de corps, ne sont pas là ce soir. La tête n’y est point. Elles ne sont pas là mais lasses, semble-t-il. Dommage pour l’élégance, la grâce du début et la force du concept.