Pierre-Évariste Douaire
Traduction Adeline Jeudy
Pierre-Évariste Douaire. Tu es célèbre aux États-Unis, un peu moins en France, quel est ton parcours ?
Swoon. J’ai été à New York pour étudier la peinture au Pratt Instiut, en plein cœur de Brooklyn. L’accueil et l’ambiance des galeries était glacial. Leur motivation n’était que commerciale. Ça a été un choc pour la jeune étudiante que j’étais. Le seul débouché qui s’offrait à moi ne m’intéressait pas. Ma frustration était à la hauteur de mes illusions, car j’avais bien compris que je serai dépendante de ce milieu. Entrer dans le sérail m’enthousiasmait autant que d’entrer dans un caveau de famille. [rires]
C’est ta frustration des galeries qui t’a poussé à travailler directement dans la rue ?
Swoon. Le travail de Gordon Matta Clark m’inspirait et m’encourageait. Ses interventions, dans les années 1970, sur les bâtiments en démolition et ses écrits m’ont beaucoup marquée. En regardant autour de moi, j’ai compris qu’un certain nombre de choses se passait dans l’espace urbain. Il régnait dans la rue une grande effervescence. J’ai réalisé que la rue m’offrait des possibilités et des opportunités que les galeries me refusaient.
La décision a été prise rapidement. Entre le confort douillet d’une galerie et le froid polaire de la rue, mon cœur n’a jamais hésité. En 1999, j’ai plus réfléchi qu’agi. Cette année m’a permis de réfléchir à ce qu’il convenait de faire à l’extérieur. Mes interventions ont été sporadiques durant cette période. C’est véritablement en l’an 2000 que la rue est devenue mon atelier.
Cela a été un grand tournant, car j’ai commencé à produire et à coller un grand nombre d’affiches dans New York.
Qui sont les personnages que tu colles sur les murs ?
Swoon. Ce sont des passants, des proches, la famille. A chaque étape de mon travail je change. Les personnages évoluent avec moi. Mon travail consiste à retranscrire ce qui se passe dans la rue. Je croque sur le vif des attitudes, des personnes, des manières d’être que je restitue sous forme de dessins. Je replace ces souvenirs là où je les ai croisés. Quand je vois une personne qui me parle, qui me touche, je reviens coller son image à l’endroit où j’ai croisé son regard.
Ma première série sur les enfants de New York était basée sur ce principe. Ils jouaient au base ball et je les dessinais. Toutes ces silhouettes, toutes ces individualités, font la richesse et la beauté des villes, en particulier de New York.
Et les autres personnages ?
Swoon. Ils peuvent être plus personnels. J’essaie de retranscrire des histoires que j’ai en tête et qui viennent se mettre en scène sur les murs de la ville. Il m’arrive de complètement inventer, tout dépend des gens que je rencontre, que je croise dans la rue et des histoires que j’ai envie de raconter.
Qui est “Alisson the last maker” ?
Swoon. Alisson c’est ma copine à moi. C’est une très bonne amie qui coud tout le temps. J’aime les gens qui entretiennent un rapport direct avec la création manuelle. Lors de ma résidence au Mexique, j’ai vu les femmes du Huahaca obligées de travailler pour les grands équipementiers sportifs. Elles sont exploitées. Elles sont obligées de fabriquer des ballons de football pour les grandes marques internationales. Il leur faut une journée entière pour en confectionner un seul. Elles vivent dans une très grande misère, mais restent dignes. J’ai passé mon séjour à les observer, à les regarder coudre, à examiner leurs mains. Leur condition de travail me donne envie de témoigner. Leur histoire me touche. Ce sont des histoires comme celle-ci que j’ai envie de raconter dans mes dessins.
Travailles-tu d’après photo ?
Swoon. Oui, je dessine d’après clichés.
Travailler dans la rue c’est artistique, poétique ou politique ?
Swoon. C’est tout ça en même temps, mais mon envie première a été dictée par un besoin artistique. Ce n’est que dans un second temps que mes centres d’intérêt ce sont élargis. Je me suis intéressée plus attentivement aux ados des villes. Ils ont la particularité de vivre autrement la cité. Ils s’en emparent et la transforment à leur image. L’espace public s’est imposé comme un partenaire qui impose ses règles du jeu. Dans une métropole il faut respecter un certain nombre de normes. C’est au bout d’un certain moment que j’ai commencé à jouer avec ces contraintes, à les problématiser.
Comment s’engager dans la rue ?
Swoon. Coller un personnage de taille humaine sur un mur, travailler sans autorisation, en dehors de tout cadre légal oblige à prendre position. Ce type de proposition urbaine implique davantage l’artiste, elle l’oblige à s’engager. En faisant ce constat j’ai arrêté d’être spectatrice pour devenir partie prenante de la ville. Toutefois il ne faut pas oublier la visée première de mes interventions. Le cœur de mon travail consiste à créer une relation, une communication entre les piétons et mes silhouettes en papier. Mes dessins parlent de ces gens qui habitent, travaillent et vivent en ville.
Considères-tu tes affiches comme des œuvres d’art ?
Swoon. Oui.
Tu as transformé la galerie L.J. Beaubourg en installation géante.
Swoon. L’installation à la galerie L.J. Beaubourg est le fruit de mon expérience passée. Il ne m’était pas facile de répondre aux invitations des galeries au début, il m’a fallu du temps et une confiance en moi pour les accepter. Exposer seule était inconcevable à l’époque. C’est à travers des expositions collectives que j’ai vaincu ma timidité. Dans la rue je construis des relations avec les passants, tandis qu’en galerie je tente de reconstruire la ville. J’ai longtemps tenu secrète cette idée, tellement elle me semblait irréalisable.
Je sais que dans ta galerie new yorkaise, la Deitch Projects, les expositions urbaines rivalisent en monumentalité. Je l’ai constaté ce printemps à la foire de Bâle, avec un stand qui proposait des pièces de jeunes artistes comme toi issu du Street Art et déjà star. Pour votre génération, la démesure est une obligation ?
Swoon. Oui tout à fait, je suis obligée de faire toujours plus grand. J’y suis tenue par contrat. Comme je suis un tout petit bout de femme je complexe beaucoup par rapport aux garçons. Je compense en faisant de grosses installations. [rires].
Non, je plaisante. La Deitch Projects est une galerie qui a l’habitude de créer l’événement avec des grands shows. Barry McGee est passé maître en la matière. Cette habitude a été contractée il y a déjà longtemps, et la galerie à l’assise technique et financière pour se le permettre.
Quant à moi, une exposition est l’occasion d’expérimenter un nouveau support. C’est un médium supplémentaire, avec ses particularités, ses codes et ses contraintes. J’investis ces espaces comme les pages blanches de mes dessins. J’en étudie tous les aspects pour les appréhender pertinemment. Après l’accrochage de la pièce, je circule des centaines de fois de long en large, pour être sûre que la scénographie fonctionne. Je revisite l’exposition avec mes pieds.
C’est une approche intermédiaire entre la peinture et le dessin. Intervenir dans un espace clos donne plus de liberté. Intervenir en intérieur libère beaucoup d’espace créatif.
Outre Atlantique, la scène urbaine dont tu es issue est l’objet d’achats conséquents. Le MoMa de New York a acheté plusieurs de tes dessins par exemple.
Swoon. En effet c’est très bizarre d’être exposée au MoMa. Je n’y croyais pas, je n’ai rien dis à personne avant d’être certaine d’entrer dans les collections. Ce n’est qu’après la vente que j’ai commencé à en parler.
Cette reconnaissance du Street art dans les musées aux États-Unis, c’est nouveau ?
Swoon. Je n’en sais rien, mais je ne suis pas cataloguée Street Art. J’ai été invitée à exposer pour une exposition sur les arts graphiques. Print Making faisait le point de la production artistique depuis l’apparition de la sérigraphie. Les pièces acquises ne reposent pas dans un sous département mais dans la collection des artistes du XXIe siècle.
Tu exposes à la galerie L.J. Beaubourg mais tu vas réaliser un collage sur le panneau d’Oberkampf pour l’association Le Mur. Travailler à Paris c’est comment ?
Swoon. Coller à Paris est beaucoup plus tranquille qu’à New York. Là bas les gens ne sont pas curieux, ils restent bornés à leur quotidien. Jean Faucheur [artiste et président de l’association Le Mur] m’a proposé de participer à l’aventure qu’il a commencée il y a quelques années. Lui et ses amis ont débuté par les opérations «Une Nuit» qui consistaient à recouvrir tous les panneaux publicitaires d’un quartier par des affiches artistiques.
Depuis février tous les quinze jours, un artiste est invité à poser sa création sur un panneau en partenariat avec la mairie. J’ai tout de suite répondu favorablement car dans ma jeunesse j’ai toujours eu envie de faire de telles choses. C’est encore plus incroyable que des français aient réalisés mon rêve à ma place.
Galerie L.J. Beaubourg
23, rue du Renard.
75004 Paris
France
+33 1 44 59 27 27
www.galerieljbeaubourg.net