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Sweet nothings

Le terme de «visage» désigne ici la manière dont l’autre se représente, allant au-delà de l’idée de l’autre en moi. Ce mode ne consiste pas à figurer comme thème sous mon regard, en se déployant comme un faisceau de qualités qui forment une image. À tout moment le visage de l’Autre détruit et dépasse l’image visuelle qu’il me laisse...

Information

Présentation
Vanessa Winship
Sweet nothings

Au cours de son long séjour en Turquie, la photographe Vanessa Winship a été fascinée par les problématiques liées aux frontières et à l’appartenance. Alors qu’elle était devenue familière des us et coutumes turques pourtant très éloignées de ses habitudes anglaises, ce sont les écolières dans leurs petites robes bleues qui continuent de la fasciner.

Partout où elle a voyagé dans ce pays traumatisé par la guérilla, elle croise ces fillettes. Devenues symbole de l’état turc, elles ne sont pourtant que des petites filles. Pour lutter contre les valeurs traditionnelles de la région qui veulent que les filles restent à la maison, le gouvernement a lancé une campagne permettant aux familles les plus modestes de scolariser tous leurs enfants. Ainsi, le nombre de petites filles fréquentant les écoles, a lentement augmenté. « Sweet Nothing » est une série de portraits de ces écolières. En les photographiant, l’auteur a été profondément touché par le mélange de gravité et de fragilité de ses petits modèles, mais surtout par leur incroyable naturel. Une émotion que le lecteur ne peut ignorer en contemplant ces magnifiques images.

Dix ans que je vivais et travaillais dans cette région de l’Asie, quatre que j’étais en Turquie. Au cours de ces années d’exil. Je m’étais habituée à une vie bien différente de celle que je menais auparavant en Angleterre. Tout m’était devenu familier : la foule se mouvant dans le paysage urbain et les routes poussiéreuses des hauts plateaux et même la présence militaire, permanente, dans chaque ville et sur chaque colline.

Pourtant, lors de mes pérégrinations à travers le pays, une image récurrente me frappait sans cesse.

C’était celle de ces écolières à robes bleues. Dans toutes les villes, dans tous les villages. C’était toujours les mêmes. Des robes à col de dentelles, brodé sur le devant, avec de petits messages tendres. mais aussi avec la représentation du symbole de l’État turc. C’était étonnant car après tout, elles n’étaient que des petites filles.

Aux frontières de l’Irak, de l’Iran, de l’Arménie: dans toute cette région appelée « zone d’urgence » en raison de cette guerre, celle-là même pour laquelle tant de gens avaient perdu la vie, les robes étaient toujours les mêmes.

Là-bas, la terre est hostile, La vie des hommes est rude. Jusqu’à une époque récente, beaucoup de ces gamines vivant dans les zones les plus reculées étaient totalement déscolarisées. Entre les valeurs traditionnelles, qui édictent que les filles doivent rester à la maison, et surtout ce sentiment de suspicion tenace à l’égard de l’État, la scolarisation n’était pas chose aisée. Parfaitement conscient de ce phénomènene, le gouvernement turc lança donc une vaste campagne de sensibilisation.

Méditer sur le visage demande de l’investissement à qui le contemple. Cela demande d’assumer la signification de son regard hypnotisé, du moment que chacun est considéré à son tour.

Cette rencontre est un face-à-face, ouvert sur l’altérité lorsque le visage d’un étranger surgit dans le continuum du « même ».

Avec douceur, mais avec insistance, nous sommes requis non pas de réagir, mais de répondre à une altérité possible.

Quand on prend le temps de regarder les photographies que Vanessa Winship a prises d’écolières en milieu rural de la Turquie orientale, c’est comme si mille visages surgissaient des générations du passé, du présent et de l’avenir. Le visage de la grand’mère de celle-ci, de la soeur de celle-là, les visages des enfants de leurs enfants, les visages de notre propre enfance, visages de l’œuvre d’Arbus, de Mark ou de Disfarmer, visages de conte de fées, visages qui nous sont familiers et visages que nous ne pourrons jamais comprendre. Nous sommes dérangés par leur proximité ; nous sommes chagrinés par leur éloignement.

En témoignant du moment de la prise de conscience de soi, ces photographies nous invitent à réfléchir sur ce que veut dire se présenter au monde, ou même seulement à un étranger.

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