Une pièce entière de la galerie est consacrée à la projection de Sprawlville, une métaphore de la ville tentaculaire. L’œuvre réunit en une problématique sociale commune l’ensemble des projets. Elle fait éclater les contradictions : le besoin de posséder dans la nudité du désert, la recherche éperdue de vitesse au regard des forces naturelles, la densification du réseau autoroutier face à l’absence d’espace public et les agrégats de populations enfermés dans leurs intérieurs.
« Sprawlville examine comment le rêve américain se manifeste dans l’espace urbain », explique Sven Palhsson sur le site internet qui présente la ville virtuelle. La vidéo en 3D constitue la construction informatique de la réalité des banlieues qui se répandent aux États-Unis.
L’artiste et son ordinateur se muent en démiurge d’un monde dominé par la rationalité (répartition rigoureuse de l’espace, création de réseaux complexes de communication) mais dont la logique s’est vidée de sens. La vie a déserté la ville au point de ne plus être nécessaire à son expansion. La banlieue multiplie les nœuds autoroutiers, les centres commerciaux, les parkings comme autant de fantômes d’une vie collective aux volets clos. Au lieu de relier les individus, les réseaux de communication se font les vecteurs d’une consommation à outrance.
Le projet illustre un mouvement des villes vers les campagnes, une sorte d’exode urbain, favorisé par la création d’un complexe autoroutier dès la fin des années 1950. La vidéo se structure autour de trois composantes : les maisons de la périphérie ; les liaisons autoroutières entre états, avec la culture automobile (analysée dans Crash Course) et l’engorgement des pôles urbains ; les gros centres commerciaux. « Pour moi, l’expérience des banlieue est presque irréelle et la différence toujours plus ténue entre le monde construit par ordinateur et le développement actuel des banlieues est à la fois étrange et effrayante », déplore l’artiste.
L’esthétique, inspirée du jeu vidéo, épouse parfaitement le propos. L’outil 3D permet d’en rendre toute la complexité. L’apparence est volontairement maintenue à un niveau d’étrangeté sans vie, sans couleur. Cependant les images, elles, ne sont pas ternes : elles font intervenir toute une palette de textures, une déclinaison d’éclairages, une variation de couleurs et de points de vue (panoramiques, aériens, frontaux, etc.).
L’impression de désolation tranche avec la richesse des moyens déployés pour rendre la fade réalité en très haute résolution avec une bande son haute définition d’Erik Wollo. L’artiste souligne ainsi le contraste entre une réalité qu’on ne regarde plus tant elle semble ennuyeuse à force de répétition, et une construction virtuelle qui fascine. Le propos retrouve tout son intérêt lorsqu’il prend une forme artistique. Et Sven Pahlsson n’hésite pas à en faire ironiquement un argument de vente supplémentaire.
Exploration, dénonciation de la société américaine, l’exposition inscrit l’œuvre d’art dans une opération de marketing satirique. « La propriété privée à Sprawlville ! Il n’y a pas deux maisons pareilles », insiste Sven Pahlsson en précisant que chaque maison est dotée d’une adresse propre et d’un contrat de location individuel. L’artiste se fait promoteur immobilier d’un spectateur-consommateur avide de biens matériels : « Vous pouvez bénéficier 24 heures sur 24 de votre nouvelle maison sur un écran de 7 inches ».
The Monopoly Série est l’application directe du projet. Elle présente trois maisons en vente sur écran LCD. Conformément au pacte d’exclusivité, chaque habitation est unique dans cette répétition infinie de maisons identiques jusqu’au malaise ! Extrême raffinement ou ironie suprême : l’artiste se propose de modéliser pour vous un accessoire de votre choix (voiture, barbecue, moto, piscine, etc.) et de l’intégrer dans la vidéo…
Sven Palhsson :
— Car Park Triptych, 2002. Photos digitales couleurs.
— Sprawville, 2002. Vidéo, 12’. Dimensions variables.
— Falling Down, 2003. Vidéo.
— The Monopoly Série, 2002. Vidéo sur écran LCD. 27 x 35 x 25 cm.
— Die Hard, 2001. Série de photos digitales couleurs montée sur aluminium. 40 x 60 cm.