ART | CRITIQUE

Surface Proxy

PLu Chao
@12 Mai 2015

La galerie XPO présente «Surface Proxy», la première exposition personnelle de Clément Valla en France. Elle mêle sculpture, photographie et art numérique dans des œuvres hybrides. Entre le visible et l’invisible, le virtuel et l’authentique, le sacré et le profane, l’artiste éprouve l’image à l’ère de la numérisation de masse.

Au bout d’un corridor, sous une verrière, les contours d’un bénitier disparaissent dans un puits de lumière. D’autres se détachent de l’ombre. Suspendues aux murs immaculés ou posées au sol, une dizaine de statues enveloppées d’un linceul revêtent les silhouettes de fragments architecturaux : saints, colonnes, vasques filent le parcours du spectateur. En filigrane, la procession d’un fidèle, depuis la nef jusqu’au chœur d’une église, s’impose. Un silence funèbre se répand. Clément Valla sublime l’espace d’exposition en sanctuaire : ci-gisent les reliques des monuments religieux détruits à la Révolution, démantelés puis disséminés outre-Atlantique.

Or, un malaise croît à mesure que le regard s’accroche à ces objets-fantômes : les draps de lin ne portent pas les stigmates du temps, nulle trace de dégradation organique dans les empreintes qui s’y dessinent, des pixels blancs remplacent les éclats sur les faces burinées de Saint-Firmin ou de Saint-Pierre. «Surface Proxy» présente des modèles «remédiés» de pièces détachées d’abbayes — de Cluny pour la plupart — sélectionnées dans les musées de New York et Providence. Purs produits numériques, ces répliques résultent de différents procédés de modélisation: reproductions des surfaces obtenues grâce à l’application 123d catch, texture drapée et couleurs rendues par le logiciel Blender puis imprimées sur des toiles de lin. L’artiste épingle enfin les tissus à motifs trompe-l’œil sur des prototypes fabriqués par impression 3D. Les voiles dissimulent l’imposture comme ils révèlent la présence matérielle de ces objets de substitution.

Ni tout à fait sculptures, ni tout à fait photographies, ces entités spectrales rendent l’absence visible et la disparition palpable. Le drap fait office de dépouille, preuve matérielle de «ce qui a été», en écho à l’illusion théâtrale: figurer la mort sans la montrer sur scène. Clément Valla capture l’émanation physique d’un objet à travers une succession de photographies. À partir de ce flux d’images fragmentaires et par le biais d’opérations informatiques, il produit des clones.
L’oxydation des suaires et les cicatrices des pierres qui président à leur authentification ou à leur canonisation s’avèrent artificielles. Résultat d’une agrégation de données, l’image finale prend alors en charge la construction de la mémoire collective, l’organisation du réel et son envers métaphysique. «Car la mort dans une société, il faut bien qu’elle soit quelque part ; si elle n’est plus – ou moins – dans le religieux, elle doit être ailleurs : peut être dans cette image qui produit la Mort en voulant conserver la vie» pressentait d’ailleurs Roland Barthes à propos de la photographie (La Chambre claire, 1980, p. 144). Ici, le processus virtuel pérennise la matérialité des reliques tout en pulvérisant leur aura.

En ménageant à l’intérieur de la galerie un espace sanctuarisé jonché d’artefacts, l’artiste retranscrit la mutation progressive des pratiques cultuelles. De l’édifice religieux, les musées n’ont conservé que des fragments ornementaux, désormais érigés en œuvres d’art autonomes. Valla ne considère celles-ci qu’en terme de documents à partir desquels travailler. Il n’en perpétue que l’apparence numérisée.
La dimension transcendante à laquelle renvoient ces icônes dans leur contexte architectural et historique s’évapore dans la fabrication de ces surfaces de synthèse. Le monde des Idées devient celui du Tout-images, déterminant la représentation du monde. La technique supplante le miraculeux et en usurpe l’autorité.

Clément Valla manipule et ressuscite des vestiges médiévaux symboles de la puissance de l’Église. Il transfère cette ascendance dans le médium visuel profane. Il annule ainsi la révolte iconoclaste de la Révolution pour donner corps et visage à un nouvel ordre politique : l’emprise des logiciels dans la (re)production visuelle du réel. «Surface Proxy» en révèle les failles — la désagrégation de l’image en bas des tissus — et son impact sur la perception de l’environnement. Un élément du réel — une plante verte captée par erreur lors d’une prise de vue — se tient devant son enveloppe imprimée. Tendu et privé de support, le drap n’est qu’une surface aux motifs éclatés. Cette étape intermédiaire dans le processus de modélisation, évoque les aliénations irréversibles qu’induit la virtualisation, à l’heure où l’on constitue une mémoire universelle dématérialisée.

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