Alors que les contemporains continuent de refuser souverainement cette contrainte qu’est les pointes, Emio Greco et Pieter Scholten, directeurs du Ballet National de Marseille, réhabilitent cette technique chorégraphique en présentant un programme intitulé Sur Pointes, et composé de deux pièces : leur propre création, Momentum, et Pointless de Jeroen Verbruggen.
Les pointes : une technique rejetée
Autour des ces deux spectacles pour quinze danseurs, Sur pointes s’attache à interroger cette technique particulière, les pointes, qui fut longtemps réservée aux seules danseuses. Tout à la fois assimilées au double impératif de maîtrise et de dextérité, ainsi qu’à un apprentissage douloureux, les pointes restent dans l’esprit du grand public l’une des marques distinctives de la danse classique. La danse contemporaine, quant à elle, s’est employée à vigoureusement refuser cette technique, même si des chorégraphes ont parfois tenté de l’utiliser, à la recherche d’une nouvelle écriture. Ainsi William Forsythe a-t-il créé en 1987 In the Middle, Somewhat Elevated et Edouard Lock, Amélia, en 2002. Et celui-ci fut d’ailleurs le premier chorégraphe à inviter un danseur à utiliser les pointes, en ne recourant pas à la dérision ni à la parodie.
Sur pointes, qui semble confirmer au premier abord ce retour ponctuel de la danse classique, se révèle être cependant un spectacle contemporain. Les deux pièces, Pointless et Momentum, retracent chacune à leur manière l’histoire de la danse en reliant le passé de la danse classique et ses contraintes au présent « absolu » de la danse contemporaine et son impératif de liberté.
Pointless et Momentum
Première pièce composant Sur pointes, Pointless de Jeroen Verbruggen est d’une forme « néoclassique » puisque règne une véritable harmonie où les interprètes se soumettent méthodiquement au travail des pointes. Il est « important de continuer le travail sur pointes (…), mais aujourd’hui la pointe est devenue un élément légendaire, figé dans son art. J’aimerais croire que cet objet avait à terme un objectif plus ambitieux que d’être un simple artifice esthétique et pointless. »
Pointless : le titre de la pièce indique l’intention ironique du chorégraphe. Le tutu est aussi bien porté par les danseurs que les danseuses et se transforme au cours du spectacle en corolle, boa, ou flocon. Pas de deux et arabesques se succèdent, et une barre de travail vient occuper la scène, provoquant un attroupement de danseurs qui posent avec un sourire figé. Un ensemble de courtes scènes montrent la virtuosité technique des danseurs sur pointes, avant de laisser place à des développements affranchis des contraintes classiques subvertissant les règles du ballet sur une musique de Rachmaninov et Debussy.
Deuxième partie de Sur pointes, Momentum d’Emio Greco et Pieter Scholten se présente comme une pièce épurée sur une scène nue laissant apprécier la maîtrise des gestes requise par la danse sur pointes. Sur scène, deux groupes de danseurs, dont la plupart tourne le dos au public, capuche sur la tête, se détachent de scène face à la projection d’un étendard blanc qui flotte. Cette mise en scène suggère l’extrême légèreté instinctive de la danse. La technique des pointes semble ici servir la conception contemporaine de la danse et incite à réfléchir sur l’histoire de la danse, à la possible continuité entre danse classique et contemporaine.