L’exposition «Superdome» ouvre ses portes comme le stade mythique du même nom. Mais quels points communs peut-on trouver entre l’exposition et le Superdome construit à la Nouvelle-Orléans, à la fois lieu de divertissement avec ses Super Bowls et ses concerts, et lieu de recueillement et d’accueil pour des causes plus sociales ou politiques.
C’est en s’inspirant de cette dualité que le directeur du Palais de Tokyo a rassemblé des oeuvres qui oscillent entre spectacle et vanité. En jouant sur la capacité des productions artistiques à s’étendre d’un domaine à un autre et à côtoyer ainsi des mondes différents et riches d’enseignement, Marc-Olivier Wahler cherche à montrer, une fois encore, l’élasticité que l’art peut revêtir aujourd’hui.
Aucune entrée spectaculaire, pas de sens de visite déterminé par une signalétique trop voyante. Seul le texte explicatif se détache sur le mur de droite et quelques flèches discrètes nous indiquent l’endroit où l’on peut trouver les oeuvres exposées. Une petite cimaise blanche nous fait face et nous invite à la contourner pour découvrir le travail de Fabien Giraud et Raphaël Siboni.
Last Manoeuvres in the Dark trône dans une des premières pièces du Palais de Tokyo. Une multitude de casques en terre cuite noire émaillée à l’effigie de Dark Vadors est disposée à la manière de l’armée de Xian. Ces masques qui semblent empalés sur la structure métallique qui les soutient nous toisent de leurs regards inquiétants. Des fils les relient à un ordinateur central et s’apparentent à des barbelés.
A la fois coeur, poumon et cerveau, le serveur informatique diffuse différents morceaux de musiques qui se chevauchent et se mélangent pour recomposer à l’infini un chant de noirceur ténébreux. Les sons sourds diffusés par les hauts parleurs qui nous entourent entrent en écho avec la composition géométrique de l’ensemble de l’oeuvre.
La figure du mal utilisée ici et cristallisée dans l’image du contre-héros de la Guerre des étoiles se multiplie et semble pouvoir se déployer à l’infini. Mais la répétition des “visages” annule l’unicité de la terreur qui s’en dégage. On ne craint plus “Le Mal” incarné dans un seul être, mais l’on est plongé dans une atmosphère où ce sentiment provient de toute part. Le passage du singulier au multiple change notre vision de l’ensemble.
Fabien Giraud et Raphaël Siboni tentent de nous faire accéder à leur vision futuriste et angoissante d’une culture du divertissement qu’ils déclinent sous plusieurs formes.
On passe du bruit au silence. Dans la pièce voisine une immense cage en fer contient une machine étrange. Tout d’abord figée dans un mutisme total, elle se révèle au bout de quelques minutes comme un appareil dangereux qui propulse à plus de 600 km/heure des bouteilles de bières vides. Afasia est l’oeuvre d’Arcangelo Sassolino.
Issue d’une nouvelle série ayant pour thème l’aphasie, cette installation scande notre visite de détonations sourdes et inattendues. Les bris de verre s’entassent au pied du mur qui fait obstacle aux projectiles. Les bouteilles utilisées font à la fois référence à la culture pop / rock et à l’environnement urbain. Mais c’est avant tout la violence qui prend forme. Le rapport avec le spectateur est tendu.
On aborde l’oeuvre de manière physique et tout notre corps est mis à contribution dans cette expérience angoissante. Suspendu dans le temps et dans l’espace le geste de l’artiste incarné dans le processus mécanique d’une machine aux allures de mitraillette, nous contraint à une immobilité angoissante. Nous attendons inquiets et espérons ne pas nous laisser surprendre.
Le mot «aphasie» signifie «sans parole» et désigne un trouble affectant l’expression ou la compréhension du langage parlé ou écrit en dehors de tout déficit sensoriel ou d’un dysfonctionnement physique. Ce terme prend ici tout son sens. La suspension, un court instant, du langage artistique d’Arcangelo Sassolino est mise en parallèle avec notre présence stupéfaite. Pour lui, ses “sculptures sont les émetteurs d’un temps physiquement comprimé, d’une mémoire permanente, d’un équilibre dangereux.” Nous sommes pris en otage d’une oeuvre en constant devenir sur laquelle nous n’avons aucun contrôle.
Plus loin, Daniel Firman donne une autre interprétation de la notion d’équilibre et de la gravitation des corps. L’éléphant Würsa (à 18000 km de la Terre) est une production conçue spécialement pour le Palais de Tokyo. Posé au centre de la pièce, l’animal hyperréaliste de taille réelle repose sur sa trompe et pointe vers le plafond le reste de son énorme corps.
On cherche du regard le dispositif qui permet une telle mise en scène mais la sculpture déjoue simplement les lois de la gravité comme l’animal pourrait le faire à 18000 Km de la terre. On ose tourner autour et le pachyderme pétrifié devient une forme légère, suspendue dans l’air. La plastique des formes et l’élasticité du temps sont à nouveau explorées pour nous confronter aux nouvelles réalités de notre environnement.
Jonathan Monk bouleverse lui aussi notre vision du monde et des oeuvres d’art. Avec ses installations rassemblées sous le titre Time Between Spaces, il émet une hypothèse très personnelle. “Quelle est l’heure de la lune” se demande-t-il ? Pour lui elle est réglée sur celle de Houston base de départ de la mission Apollo. En s’inspirant de cette synchronisation possible, il détermine son exposition de sculptures dans deux institutions différentes et concomitantes, le Palais de Tokyo et le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
L’oeuvre unique n’existe plus. Les productions ne prennent tout leur intérêt qu’au contact des autres. Le temps et l’espace se déploient d’un lieu à un autre. Les murs se transforment en parois diaphanes qui laissent passer le discours de l’artiste et qui rassemblent ses intentions plastiques dans un tout en perpétuel mouvement.
Le sentiment d’ubiquité est de mise : être ici et ailleurs au même moment et pouvoir éprouver cette sensation de vivre au même instant la même chose dans deux endroits différents. Les oeuvres entrent en écho et se répondent tout comme le font les deux horloges à balanciers de Odd Couple.
Mises face à face elles donnent exactement la même heure depuis le lancement de l’exposition, mais en sera-t-il ainsi jusqu’à la fin? Paramètre incontrôlable le temps est la notion centrale de Superdome. Il est à la fois déterminé par celui que les artistes ont choisi de cristalliser dans leurs oeuvres mais il est aussi induit par celui de notre déambulation et de notre expérience physique de l’évènement.
Nous achevons notre visite par une rencontre bien étrange. Christoph Büchel investit une partie du musée avec un amas de détritus d’où émerge un énorme conduit métallique. Les spectateurs sont invités, sur rendez-vous, à se coiffer d’un casque de chantier et à se laisser guider au coeur de Dump. Le gardien de salle nous raconte ce qui peut se trouver à l’intérieur de cet environnement clos et opaque mais on a peine à le croire.
Deux personnes se penchent et s’engouffrent dans ce boyau obscur. Débute alors une attente de 20 minutes. Notre imagination se perd à l’intérieur de cette caverne. Mais il faut encore patienter pour voir venir notre tour et entendre le bruit des pas de ceux qui ont déjà parcouru ce labyrinthe déconseillé aux claustrophobes.
Un espace inconnu court derrière ce tas gigantesque de débris amoncelés à même le sol et le temps devient dérisoire et impalpable.
Superdome
Fabien Giraud & Raphaël Siboni. « Last Manoeuvres in the Dark »
Last Manoeuvres in the Dark, 2008. « Last Manoeuvres in the Dark ». Terre cuite noire émaillée, intelligence artificielle, acier.
Jonathan Monk. « Time Between Spaces »
Stationary Metamorphosis Within a Geometric Figure, 2008. « Time Between Spaces ».
Arcangelo Sassolino. « Afasia 1 »
Afasia 1, 2008. « Afasia 1 ». Acier, gaz, verre.
Daniel Firman. « Würsa (à 18 000 Km de la terre) »
Chute libre, 2007. Coffre-fort et congélateur.