Daniel Firman, Fabien Giraud, Raphaël Siboni, Jonathan Monk, Arcangelo Sassolino et Christoph Büchel
Superdome
Le Superdome est un stade mythique: construit en 1975 à La Nouvelle-Orléans (Louisiane), il a accueilli de nombreux Super Bowls (la finale du championnat de football américain), un concert des Rolling Stones, le pape Jean-Paul II, la Convention Républicaine et les réfugiés de l’ouragan Katrina. Paradoxal, le Superdome jette un pont entre le divertissement le plus grand et la détresse absolue. S’inspirant de cette logique additionnelle et schizophrénique d’un « I can get no satisfaction » et d’un « Notre Père qui êtes aux cieux », Marc-Olivier Wahler propose « Superdome », une nouvelle session réunissant cinq expositions personnelles oscillant entre spectacle et vanités, décibels et prières, high-tech et chaos, dans la continuité du programme d’expositions testant la notion d’élasticité de l’œuvre d’art entamé au Palais de Tokyo avec Cinq milliards d’années.
Daniel Firman – « Würsa (à 18 000 km de la terre) »
Daniel Firman est l’une des figures importantes de la scène artistique française.
Participant régulièrement à de nombreuses expositions tant personnelles que collectives, en France aussi bien qu’à l’étranger, il a su en plus d’une décennie déployer un langage formel unique, s’intéressant tout particulièrement à la question des corps et de leur équilibre.
Oeuvres souvent spectaculaires, ses sculptures se sont allégées avec le temps, parallèlement à son intérêt croissant pour la danse et la gestuelle. Les corps apparaissent dans ses oeuvres en équilibre précaire, proches de la chute mais n’y succombant jamais.
« Le corps se trouve au coeur du travail de Daniel Firman. Une filiation forte apparaît avec des pratiques issues des années 1960 et 1970, utilisant le corps non plus comme sujet mais comme médium. » (Marion Guilmot)
« Würsa (à 18 000 km de la terre) » est une création inédite réalisée spécialement pour le Palais de Tokyo dans le cadre de la session Superdome. Un impossible équilibre. À 18 000 km de la terre, l’éléphant Würsa pourrait tenir en équilibre sur sa trompe.
En pénétrant dans un grand espace blanc et vide, le visiteur se trouve face à cette créature de taille réelle, dont l’équilibre précaire semble le mettre en danger – qui osera s’approcher de « Würsa » ?
Cette hypothèse se pose par le seul intermédiaire de la sculpture, une sculpture hyperréaliste empruntant aux talents d’un taxidermiste et qui nous propose de basculer entre un phénomène scientifique prouvé et la mise en perspective réelle et physique du monde.
« Würsa », au nom évocateur de spoutnik russe et de conquête de l’espace, est figé dans sa position comme si l’une de ses acrobaties avait été mise sur « pause » ; cette vision permettant à l’artiste de proposer une expérience physique et psychologique inédite et spectaculaire.
Fabien Giraud et Raphaël Siboni – « Last Manoeuvres in the dark »
Depuis 2007, Fabien Giraud et Raphaël Siboni travaillent ensemble sur divers projets artistiques tout en poursuivant simultanément leur pratique personnelle. Ils partagent une attirance pour les pratiques communautaires, le mauvais goût et les différentes formes de sous-culture.
Par des processus d’hybridation et le reparamétrage de pratiques issues de la sous-culture pop, Fabien Giraud et Raphaël Siboni explorent et dérèglent ces croyances en des puissances artificielles, allant de la « Force » du côté obscur au Pogo Straight Edge, en passant par les concours de Tuning SPL. Leur travail consiste à amplifier ces rituels contemporains, produisant des formes aberrantes et boursouflées, vision futuriste angoissante d’un « entertainment » culturel généralisé qu’ils préconisent.
Pour « Superdome », une armée de Dark Vadors, dotée d’une intelligence artificielle maléfique, compose le tube des Ténèbres. L’installation se compose de trois cents répliques en terre cuite noire émaillée du casque de Dark Vador, héros maléfique suprême de la trilogie « Star Wars », créée par Georges Lucas en 1977.
Cet ensemble de casques constitue une formation militaire, comme une lointaine réminiscence de l’armée de Xian (armée en terre cuite de l’empereur Qin Shi Huang composée de six mille guerriers grandeur nature).
Au centre de cette formation militaire, un serveur informatique en terre cuite noire laquée. Ce serveur abrite un système d’intelligence artificielle, chargé de calculer le tube absolu des ténèbres, diffusé dans l’espace en temps réel.
Ce « cerveau » surpuissant, doté d’une forme d’absolu, cherche à atteindre synthétiquement la forme de noirceur musicale la plus sombre de tous les temps. Inspirée des systèmes informatiques contemporains permettant de déterminer si un morceau de musique rencontrera un succès populaire, l’installation applique ces mêmes critères à la production du tube musical de la force obscure.
Le casque de Dark Vador, figure ultime et unique du Vilain est ici mis en série, infini comme cette courbe de noirceur régissant un processus musical à la recherche du Mal absolu. Que devient la figure du plus Vilain lorsque celle-ci est légion ?
Ce maximum de noirceur ne semble être ici que le point de départ d’une quête superlative et abyssale. Tout au long de l’exposition, à partir d’une mémoire composée d’une multitude de morceaux de musiques allant du heavy métal au requiem de Fauré, et par un système d’écoute, d’analyse et d’apprentissage, les Dark Vadors réunis autour d’un même idéal de noirceur, tenteront de recomposer ce chant oublié des ténèbres.
Jonathan Monk – « Time Between Spaces »
« Quelle est l’heure de la lune ? » se demande Jonathan Monk qui émet l’hypothèse que la lune est réglée sur l’heure de Houston (Texas) car c’est la mission Apollo qui l’aurait déterminée.
À l’image de ces deux espaces synchronisés, cette exposition prendra place dans deux institutions artistiques différentes: le Palais de Tokyo et le Musée d’art moderne de la ville de Paris – Arc, toutes deux voisines dans le même bâtiment.
Quelle position un artiste peut-il tenir après les gestes héroïques des pionniers de la modernité ? Comment continuer après la tabula rasa des avant-gardes ?
Jonathan Monk rompt avec le modèle traditionnel de l’œuvre unique. Sous le signe de la duplicité Jonathan Monk profite de cette opportunité pour produire une exposition stéréo dans un contexte où le temps serait élastique et les œuvres démultipliées. Des œuvres de l’exposition seront en deux versions différentes. Certaines performances ou installations seront en deux parties et relieront les deux institutions. D’œuvres en œuvres un fil d’Ariane invisible relie les deux espaces. Chacune des parties de l’exposition résonnera de l’autre.
Dans ce contexte exceptionnel, l’ensemble de l’exposition stéréo interroge et met en jeu le temps: historique, autobiographique mais plus simplement le temps de l’exposition. Par cette exposition commune au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de la ville de Paris intitulée justement « Time Between Spaces », le temps de l’exposition est redoublé.
De nombreuses œuvres de l’exposition font référence au temps: des pendules en tout genre, des horlogers affairés, des personnes pensant au lendemain ou à la veille. Le film « Retour vers le futur » avec Michael J Fox est diffusé grâce à un dispositif complexe d’alternances incessants de cassettes au cours duquel le signal vidéo s’altère progressivement. Deux horloges à balanciers se faisant face sont synchronisées au lancement de l’exposition. Tout laisse à supposer que cette œuvre intitulée « Odd Couple » (« Couple étrange ») indiquera progressivement des horaires bien différents.
Le titre induit une dimension biographique que l’on retrouve à de nombreuses reprises: « Mon pied peint/vernis pour ressembler à celui de ma mère », « Père Fils – version épaule », etc. Cette dernière Å“uvre vous informe de la hauteur du fils de Monk monté sur les épaules de ce dernier. L’indication rend publique un détail de la vie privée de l’artiste, un détail qui évolue au fur et à mesure que le fils de l’artiste grandit (et que le père vieillit).
Le temps se présente en fait dans cette exposition sous le signe de la relativité. Un puzzle existe en deux versions: son pourtour et son centre. L’évidence devient relative même avec un tel objet. Une œuvre de David Hockney représentant un plongeon est rejouée sur le mode de l’avant et de l’après lorsque la piscine est calme.
Un vélo dont les nombreux percements du cadre réduisent la fonctionnalité initiale. Il souligne l’étrangeté et l’humour de cette exposition: « Ni en avant, ni en arrière, à n’importe quel moment dans le présent et une courte histoire au sein de sa propre fin ».
Arcangelo Sassolino – « Afasia 1 »
« Afasia 1 » est la première oeuvre d’une nouvelle série de l’artiste, autour de la question de l’aphasie, de la suspension du langage.
Installation détonante, « Afasia 1 » est une sculpture qui propulse des bouteilles de bière vides à plus de 600 km/heure grâce à de l’azote comprimé. Au fur et à mesure de l’exposition, les résidus des bouteilles vides formeront un tapis de verre qui deviendra montagne à la fin de la session. L’utilisation des bouteilles de bière est une référence aux cultures pop et rock autant qu’à l’environnement urbain. La violence de l’oeuvre vise également à engager le spectateur dans un rapport à l’art qui ne soit pas seulement intellectuel mais aussi physique, et laisse planer une sensation d’inquiétude, voire de menace. Nous vivons actuellement selon l’artiste un moment particulièrement dense de l’histoire, et cette oeuvre s’inscrit parfaitement dans la société de violence qui nous entoure – machine célibataire duchampienne, création absurde et déficiente d’un ingénieur devenu artiste et qui souhaite mesurer sa vision industrielle au réel. Ainsi que l’exprime l’artiste : « Mes sculptures sont les émetteurs d’un temps physiquement comprimé, d’une mémoire permanente, d’un équilibre dangereux. Je ne veux pas créer des images mais un état des choses tendu, que j’essaie de construire grâce à la pression, au poids, au son produit par le frottement de masses ».
Christoph Büchel – « Dump »
Pour Superdome l’artiste Christoph Büchel présente les installations de la série « Dump ».
critique
Superdome