L’intérêt non démenti de cette approche de personnages masqués et déguisés comme pour une parade de mardi gras, qui connait de nombreux développements chez d’autres artistes dans la tradition des bandes dessinées, cache en fait une réflexion distanciée et documentée sur la situation des travailleurs mexicains à New-York. La photographe a voulu théâtraliser les actions de ces héros du travail quotidien en les parant d’une dose d’humour visuelle redevable aux couleurs tranchés et au contraste que leur costumes crée avec la gestuelle banalisée de ces petits travaux cent fois représentés dans l’imaginaire collectif mais qui demandent parfois beaucoup d’humilité et de courage comme ces laveurs de vitres des grands buildings.
Elle rend ainsi un hommage remarqué car ainsi devenu reconnaissable et donc voyant, à ces hommes et femmes latino-américains qui travaillent durement pour envoyer de l’argent à leur famille restée au pays, illustrant une fois de plus le drame invisible de l’immigration anonyme au sein des grandes métropoles capitalistes.
La véritable histoire des super-héros
Après le 11 Septembre, l’idée de «héros» devint petit à petit omniprésente dans l’imaginaire collectif. En cette période de crise, la nécessité de reconnaître le travail et l’extraordinaire détermination de certains individus face au danger semblait criante, ceux-ci sacrifiant parfois leur vie en tentant d’en sauver d’autres. Néanmoins, dans le tourbillon des médias qui affichaient, en une, les désastres et autres états d’urgence, il était aisé de passer à côté d’innombrables héros qui ont œuvré chaque jour pour le bien d’autrui, tout autant que ces autres héros glorifiés; mais en des circonstances bien moins théâtrales.
Le travailleur immigré mexicain à New York est l’exemple même du héros qui passe inaperçu: il travaille souvent de très longues heures dans des conditions extrêmes, et économise sur son salaire, si bas soit-il, au prix d’immenses sacrifices, pour l’envoyer au Mexique à sa famille et à sa communauté.
Discrètement, l’économie mexicaine est devenue dépendante de l’argent envoyé par des travailleurs résidant aux États-Unis. De la même manière, l’économie américaine devient petit à petit dépendante de la main-d’œuvre mexicaine. C’est de cet immense sacrifice, passé sous silence et inavoué, que nous parle Dulce Pinzón.
Elle rend ici hommage à ces hommes et ces femmes, figures courageuses et déterminées, qui réussissent tant bien que mal, sans le moindre pouvoir surnaturel, à supporter de difficiles conditions de travail afin d’aider leurs familles et communautés à survivre et prospérer.
Ce projet est constitué de 19 photographies couleurs d’immigrants latino-américains vêtus de costumes de super-héros américains ou mexicains célèbres. Chaque image représente le travailleur-super-héros sur son lieu de travail et est accompagnée d’une légende constituée de son nom, sa ville natale, le travail qu’il assume et la somme d’argent qu’il envoie à sa famille par semaine ou par mois.