Les photographies de Laura Henno sont construites comme autant d’histoires ouvertes. Soigneusement mises en scène, elles amorcent une fiction qui reste floue, comme les paysages en arrière-plan qui nimbent ses personnages d’une atmosphère incertaine. L’urbain est absent et la nature aux signes intemporels impose sa relation à l’humain.
Les portraits d’adolescents réalisés à Dunkerque, dans un centre médico-psychologique, sont remarquablement construits et l’association personnage/paysage donne une forte caractérisation à ces êtres qui s’affirment, en opposition à l’atmosphère baignée de lumière blanche et froide, caractéristique du Nord au petit matin.
Si dans cette série de portraits, les personnages sont statiques, un mouvement semble toujours les aspirer vers un hors-champ, évoquant une histoire vécue plus vaste et à imaginer hors cadre. Laura Henno cherche à donner une dimension fictionnelle à ses images, n’hésitant pas à convoquer la peinture et le cinéma, jouant des lumières naturelles et parfois du contre-jour.
Elle considère les lieux qu’elle choisit comme des espaces de projection qui doivent être suffisamment épurés et hors du temps pour laisser la place à la figure, tout en venant complexifier le propos dans une mise en relation qui influe sur le sujet.
C’est une autre relation au paysage qui est établie dans la série que Laura Henno a réalisée sur l’île de la Réunion. Traversant des sites naturels parfois hostiles, comme la jungle, elle a demandé à des migrants comoriens et maoriens de jouer des scènes de groupe évoquant la mise à l’épreuve physique qu’implique le cheminement des clandestins.
Inspirée par la photographie de guerre, Laura Henno a minutieusement recherché les attitudes des corps qui manifestent une mise en danger, un conflit. Se déplaçant en groupe, ces jeunes hommes rejouant des scènes qu’ils ont peut-être déjà vécues, évoquent tout à la fois l’histoire actuelle de l’immigration clandestine mais aussi l’histoire passée des marrons, ces esclaves qui, cherchant la liberté, s’enfuyaient de la maison de leur maître.
Ici, le déroulement dans l’espace et le temps prend le pas sur la densité psychologique établie entre un lieu et un personnage. Rappelant le montage de scènes filmiques, chaque situation captée fait naître chez le spectateur une histoire, les reliant par un fil narratif.
Mais ces photographies qui font davantage référence à l’image documentaire perdent de cette force d’évocation et d’intensité plastique que l’on avait admirées dans les portraits d’adolescents. Le registre change. Le regardeur se retrouve placé derrière le viseur du photographe, capturant le réel à distance. Maintenant il observe de loin, alors qu’auparavant il était obligé de pénétrer dans l’image et de s’intéresser au personnage qui lui faisait face.