Lara Schnitger
Suffragette City
Lara Schnitger a une pratique protéiforme, puisqu’elle s’intéresse autant à la sculpture qu’à la création de vêtements ou à la performance. Mais en développant des formes qui esquissent des silhouettes étranges et féminisées, ne serait-ce parce qu’elle emploie un vocabulaire plastique faits de lycra transparent, de drapés ou de talons, l’artiste produit une œuvre aussi politique qu’exaltée. S’immisçant sur les terrains du féminisme et de la sexualité, ceux également de la mode et du graffiti, ses compositions arborent une esthétique hybride. Les enveloppes bigarrées, mêlant la finesse de certains tissus à des motifs décoratifs, reflètent des traditions et des académismes qui se heurtent au monde contemporain. Ce souci du mélange, ou mieux, du tissage, se perçoit aussi lorsque sont convoqués des univers connexes, comme la musique ou le théâtre. Aussi n’est-ce pas un hasard si Lara Schnitger, de nationalité hollandaise et américaine, organise en marge de l’exposition une parade qui partira de la Cathédrale de Reims pour rallier le Frac, comme pour mieux associer des mondes a priori hermétiques l’un à l’autre, ou pour interroger à nouveau frais un profane qui se joue du sacré.
Lara Schnitger crée des environnements extrêmement denses mais en même temps si fragiles. Dans ses installations autoportantes, l’artiste applique un système basique qui consiste à étirer des collants et des pièces de tissu sur des morceaux de bois joints. La tension du textile permet de maintenir fermement en place le cadre en bois. Les différents matériaux peuvent ainsi se mêler et converser, stimulant une relation entre la membrane et la structure, dotant ces formes étranges d’un caractère vaguement anthropomorphique, ce qui ne manque pas de soulever la question de l’irréductibilité à une forme originelle, à un moule élémentaire. Dans le travail de Lara Schnitger, il s’agit toujours de s’extraire d’une définition trop prégnante, d’un code érigé de tout temps ou d’une interprétation trop rapide. Aussi ces silhouettes un peu confuses, jouant sur les entre-deux, appelant à une remise en question des savoirs et des perceptions, s’appuient-elles sur l’art de la mode, c’est-à -dire sur un art qui par excellence envisage l’éphémère et le transitoire, le monde des apparences et des identifications trop strictes, la bienséance ou l’audace.
Pour sa première exposition personnelle en France, Lara Schnitger présente un ensemble d’œuvres créées spécialement pour l’exposition ainsi que des productions récentes. Suffragette City présente ainsi une installation composée de tapisseries colorées, de bannières et de sculptures réalisées en tissu et en bois. À la fois célébration de la féminité et manifeste politique, l’œuvre de Schnitger s’appuie sur les mouvements féministes afin de réévaluer à partir d’une approche plastique, l’actualité de notions telles que le genre, l’identité ou la sexualité. La parade publique dans les rues attenantes à la Cathédrale de Reims sollicitera des participants, ceux-ci sont invités à porter les sculptures et les bannières en vue de former une procession d’un nouvel ordre. En sortant ses œuvres des lieux d’exposition classiques et en les laissant entre les mains du public, Lara Schnitger explore ainsi de manière ludique les liens entre art et mouvements de protestation.