ART | CRITIQUE

Stupeur

PMagali Lesauvage
@17 Mar 2008

Sylvie Auvray peint, dessine ou sculpte les objets et les formes qui traversent sa vie et retiennent son regard. A l’occasion de son exposition personnelle à la galerie ColletPark, elle invite une autre artiste française, elle aussi manipulatrice de formes mais avec une esthétique opposée, Delphine Coindet.

Le titre de l’exposition qui réunit ces deux jeunes artistes françaises, «Stupeur», fait référence à cet état d’engourdissement physique et mental, de brusque arrêt dans le temps qui survient à la suite d’un choc, de la confrontation à une réalité trop anormale pour être assimilée immédiatement par l’individu.

De fait, Sylvie Auvray comme Delphine Coindet cherchent toutes deux dans leur travail l’effet de stupéfaction du spectateur face au paradoxe de l’image. Delphine Coindet, que l’on connaît pour ses sculptures et ses installations in situ monumentales, travaille d’une façon épurée, froide et désindividualisée, dans le registre de la sculpture comme image, symbolisation du réel. Les œuvres de Delphine Coindet sont «l’image d’une image», elles se situent dans l’écart entre la réalité et sa représentation.
Pour désigner cet écart, l’artiste utilise l’image numérique, qui transforme l’information visuelle en code,  et simplifie ainsi le réel, qu’elle reconstitue grâce à des matériaux froids et impersonnels pour frôler l’abstraction, avec lequel elle entretient un  rapport ironique.

De ces décalages naît une certaine esthétique du kitsch. Ainsi Rock Hard (2005) est la réappropriation d’un élément d’architecture préexistant dans un lieu d’expo, un pilier renversé reconstitué en bois et crépi noir, sur lequel miroitent des couleurs irisées, souvenirs de la monstration de l’œuvre sous la lumière des vitraux de la chapelle romane de Thouars.
A cette œuvre stalagmite, massive et monumentale, s’oppose une sculpture stalactite, légère et aérienne, intitulée Chien chinois (2008), constituée de matières volatiles (papier, plastique) aux couleurs acidulées, où l’on perçoit la capacité de l’artiste à s’approprier tous types de matières.

A l’opposé de cette désindividualisation de la forme se situe le travail de Sylvie Auvray, qui semble faire de sa vie et des objets, formes et images qui la traversent le sujet principal de ses œuvres. De photographies de magazines représentant des ménagères idéales semblant tout droit issues des années 50, l’artiste tire des images ambiguës (Patron, 2007 ; Corinne, 2008) où l’angoisse infiltre le quotidien. Plusieurs dessins, dédoublés sur la feuille de papier, symbolisent ce dédoublement de la vision et du sens.

Sylvie Auvray capte ainsi des images pour mieux les envoyer à la figure du spectateur, à l’instar des ses  «bibelots-projectiles».
Pour la sculpture Form (2007), l’artiste semble avoir choisi arbitrairement dans une planche de bois une silhouette ovale, qu’elle a ensuite découpée, à la manière des reliefs en bois peint de Jean Arp, laissant une place au hasard. Formant un contrepoint éloquent aux sculptures calculées de Delphine Coindet, les œuvres de Sylvie Auvray se réclament de l’esthétique du hasard et du «fait main», et rendent au regard de l’artiste sa subjectivité.

Sylvie Auvray
— Joashu Tree, 2008. Peinture huile sur toile. 261 x 220 cm
— Corinne, 2008. Peinture huile sur toile. 265 x 195 cm
— Sans titre, 2008, série. Dessin sur papier. 27 x 26 cm

Delphine Coindet
— Rock Hard (avec son de fontaine), 2005. Sculpture. Bois, crépi, peinture. 125 x 125 x 260 cm
— Chien Chinois, 2008. Technique mixte. Dimension variable.

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