L’exposition «Structures of Domination and Democracy» comporte deux moments. Au sous-sol de la galerie, une série datant des années 1980 relate les violences liées à l’Apartheid et à son régime politique raciste assurant injustement la domination des Blancs au détriment des populations noires ou indiennes. La seconde série, s’ancrant quant à elle dans une réalité plus contemporaine, montre un jeune pays apprenant la démocratie, célébrant la mémoire des victimes de son passé ségrégationniste, et où de vieux réflexes racistes réapparaissent encore parfois.
Le travail de David Goldbatt pointe ainsi la manière dont les idéologies s’inscrivent dans le paysage ou le tissu urbain sud-africain. D’après lui, la structuration d’un pays reflète les valeurs que véhicule la société. Et celle-ci s’exprime à fond dans les villes, les quartiers ou les bâtiments qu’elle construit. Les photographies de David Goldblatt s’attardent sur des lieux symboliques, chargés d’histoire, marqués par les injustices, les expulsions, les expropriations, ou les luttes et les résistances des populations contre le pouvoir établi et son bras armé, la police.
David Goldblatt nous met face à une violence inouïe et extrêmement proche de nous-mêmes temporellement. Mais il ne s’agit jamais de représenter cette violence de manière frontale ou de l’illustrer dans des combats physiques ou des bains de sang. David Goldblatt qualifie bien plutôt son travail d’«oblique», dans le sens où il ne montre pas tant la violence elle-même, que les conditions sociales et politiques qui amènent et nourrissent cette violence. De plus, son travail demeure très documenté puisque chaque photographie se trouve accompagnée d’une légende expliquant le contexte ou la signification du site qu’il aura choisi de photographier.
Dans «Structures of Domination», les populations noires et indiennes se trouvent expropriées et déportées. L’Etat décrète la destruction de l’abri d’une femme et de son enfant sous prétexte que cette construction est illégale. Une boutique indienne est obligée de fermer. On perçoit sa vitrine, sur laquelle sont gravées des inscriptions annonçant notamment la nouvelle adresse où le commerçant indien a été contraint de migrer. Un homme en costume, à la mine déconfite, trône sur un tas de ruines. Il s’agit d’une ferme que le gouvernement a décidé de détruire pour s’approprier le domaine agricole. Un hôtel pour travailleurs noirs, entouré de fils barbelés comme dans un camp de concentration, est bâti afin de loger des populations déportées.
En fait, toutes ces situations renvoient à une même stratégie politique: rendre les villes blanches (et plus généralement tout le pays) en abolissant les droits de propriété des Noirs. Effacer du paysage ce que les autorités appellent ignominieusement les «tâches noires», comme si les quartiers ou les sites où se regroupaient les populations noires étaient une saleté infecte à nettoyer, puis à restituer une fois propre aux Blancs.
David Goldblatt rend également compte de la réalité misérable des ouvriers agricoles nomades, ou des travailleurs rejetés dans des ghettos où il n’y a pas de quoi se nourrir et subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Il montre encore les panneaux et inscriptions instaurant la ségrégation raciale: un arrêt de bus interdit aux gens de couleur, ou une plage divisée en deux (un espace pour les Blancs, un autre pour «toutes les autres races»).
Mais l’Apartheid ne se contente pas de chasser les populations de couleur. Le pouvoir dominant se glorifie encore à travers la construction d’Eglises réformées hollandaises ou d’un massif opéra rappelant l’architecture fasciste, il exalte la personnalité de JG Strijdom, dernier premier ministre et militant actif pour la domination afrikaner, en lui érigeant une statue, il construit des maisons de maître de style hollandais, symbole des vieilles propriétés agricoles incarnant les valeurs des Afrikaners.
«Je me suis intéressé aux structures qui ont émergé avec notre démocratie et qui, selon moi, sont l’expression des valeurs de cette nouvelle façon d’être dans notre société», explique enfin David Goldblatt à propos de ses récents travaux, s’intéressant cette fois-ci à une Afrique du Sud contemporaine, démocratique, mais porteuse d’une mémoire douloureuse et en proie à des soubresauts racistes réactualisant les valeurs de l’Apartheid. Un mémorial rend hommage à la marche de 20 000 femmes se révoltant en 1956 contre le non-respect des droits fondamentaux (liberté, justice, sécurité). D’autres mémoriaux sont érigés pour les victimes du Sida, pour les enfants abandonnés que l’Etat embauchait comme main d’œuvre ouvrière, ou pour les organisations qui avaient signé la Freedom Charter en 1955, texte qui aura inspiré la constitution post Apartheid.
Plus près de nous encore, une œuvre d’art commandée par une Université prône des valeurs de respect, suite à un incident datant de 2007, où des étudiants ont uriné dans la nourriture d’employés noirs. David Godblatt photographie aussi une mine de platine devant laquelle trône quelques croix, en souvenir d’un carnage où la police a tiré sur des travailleurs en grève (en tuant 34 personnes et en blessant 78 autres). Cet incident, qui eut lieu en août 2012, illustre à lui seul la fragilité des valeurs démocratiques face aux démons du passé et de l’Apartheid.
Å’uvres
— David Goldblatt, Monument aux femmes, Union Buildings, Pretoria, 1er novembre 2013. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Image: 86 x 110 cm
— David Goldblatt, La Thinking Stone, 32 tonnes de granite sculpté par Willem Boshoff. Université of the Free State, Bloemfontein, 14 mars 2013. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Image: 86 x 110 cm
— David Goldblatt, Mitchell’s Plain, Cape Town, 13 septembre 2013. Inauguré en 2007, ce mémorial dédié aux malades morts du Vih/Sida, fut conçu par le Dr Ivan Toms et Soraya Elloher. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Image: 86 x 110 cm
— David Goldblatt, Un employé de maison pendant son après-midi de congé, Sunninghill, Sandton, Johannesburg, 23 juillet 1999. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Image: 86 x 110 cm
— David Goldblatt, Monuments à la République d’Afrique du Sud (à gauche), le dernier premier ministre, JG Strijdom (à droite), et le siège de la banque Volkskas, Pretoria, 25 avril 1982. Tirage gélatino-argentique sur papier baryté. Image: 86 x 110 cm