Ivan Argote
Strengthnessless
«La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète: article unique — La colonne Vendôme sera démolie.»
Si Ivan Argote fait débander les obélisques, attendrit les lions impériaux avec une ba-balle (réveillant leurs instincts de «funny cats») ou réchauffe les statues espagnoles avec des ponchos péruviens fabriqués en Chine, c’est qu’à l’heure où l’on prend les symboles de domination pour des ronds-points, le déboulonneur doit changer de méthode.
Partout dans le monde, il traque les signes rémanents des pouvoirs déchus, scrute les manifestations indirectes de l’exercice du contrôle, observe les conventions qui font admettre une vision de l’histoire pour sa version officielle. En sémiologue paranoïaque coiffé d’un bob, on l’imagine, des sites gréco-romains aux mégalopoles occidentales en passant par les plaines colombiennes, assailli par trop de coïncidences pour ne pas croire à un vieux complot. Il est subjugué à chaque coin de rue par ces absurdités inscrites dans le décor et tolérés par amnésie ou par habitude, comme le passage incessant de ce train de charbon en plein milieu d’un village d’Amérique du Sud, en rien concerné par le business mondial de l’énergie.
Le dialogue est déjà écrit: un jour tout va basculer, ça va vous tombez dessus, mais n’ayez pas peur, «we have new methods». La poésie d’Ivan Argote parle au nom d’une génération à qui la désillusion de ses aînés n’a légué que l’ironie et la nostalgie pour moyen de subversion.
Qu’à cela ne tienne, Ivan Argote ramollit les monuments, ridiculise les allégories, enfume les vitrines muséographiques, détourne les prompteurs, craque les codes militaires pour leur faire dire de la philosophie.
D’insurrections fictives en manifestations sans casse, l’humeur puérile jamais découragée, Ivan Argote se charge de changer le monde, il a déjà recréé le big-bang avec une bande de potes munis de lampes de poche. Méfiez-vous de ce tempérament rêveur; cette naïveté est fausse, ce dilettantisme est probablement une stratégie révolutionnaire; ce romantisme est, à n’en pas douter, transgressif.
Oui, méfiez-vous, ça pourrait bientôt arriver, et tout ceci n’est peut-être que la bande-annonce. Car en effet, la mise en branle systématique des cadres de légitimation ne peut épargner le contexte de l’art; c’est même la première cible d’Ivan Argote qui, souvenons-nous, s’est fait connaître en taguant deux tableaux de Mondrian au Musée national d’art moderne/Centre Pompidou à Paris.
Ainsi l’artiste qui se méfie des choses stables profite-t-il de son exposition personnelle à la galerie pour dessiner des orientations de travail en vue de son prochain film, dont les œuvres présentées ici seraient des extraits précédant sa réalisation. C’est aussi ce que désigne cette nouvelle méthode, où l’œuvre apparaît à retardement, par louvoiement, reflux, où le moment de l’énonciation se confond avec celui de l’élaboration, levant le voile (avant que les fumigènes ne se déclenchent) sur les recoins prosaïques de l’inspiration, les tentatives abandonnées et les doutes existentiels.
Julie Portier
Vernissage
Samedi 18 janvier 2014 Ã 16h